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cune émotion, aucun trouble ne trahissait sa pensée intérieure. Quand je me tus, elle porta la main à son visage, hésita un instant, puis lentement se dévoila.

Je tressaillis. Elle était… Oh ! dirai-je cet affreux mot de laideur qui déshonore la femme ? Se pouvait-il qu’elle fût laide avec ses beaux yeux graves, sa jeunesse réelle et son sourire… Et cependant, ce teint fané, ces traits lourds, ce manque d’harmonie entre le front trop bas, le nez trop mince, la bouche trop grasse… Quelle tristesse !

— Allez-vous en, murmura-t-elle.

J’eus la force d’être sincère.

— Oui, à demain, sur le lac.

Elle y vint, et le jour qui suivit également et, mes bras croisés avec les siens, je participai au rythme de sa course, elle m’emprisonna de nouveau dans les lignes secrètes auxquelles s’amusait sa fantaisie de déesse, le sortilège me reprit tout entier, et j’oubliai la vision mauvaise.

La grâce vaut la beauté peut-être, elle la vaut à coup sûr. C’est un don du ciel, aussi précieux. C’est l’âme même du corps qui fait de chaque geste une joie, de chaque attitude un bonheur. J’aimerai cette beauté plus subtile, je l’aime en Édith. Quand je regarde son doux visage, je ne le vois plus maintenant qu’illuminé de cette grâce qui m’a vaincu, de cette grâce inaltérable et toujours jeune. J’aime Édith, ma chère et gracieuse femme…

Maurice LEBLANC.