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Une heure peut-être, oui, une heure a dû s’écouler de la sorte, dans cet engourdissement peureux. Je ne veux pas ouvrir les yeux, je ne veux pas réfléchir, je ne veux pas prendre conscience de l’événement invraisemblable que le hasard a produit, je ne veux pas voir… Et cependant, comme je vois bien, comme je vois clairement de mes deux yeux clos l’espace qui vole autour de moi ! Il n’y a ni arbres, ni prairies, ni champs, ni maisons, ni route, il n’y a que de l’espace, en dessus et en dessous, d’un côté et de l’autre, à l’infini, de l’espace où je suis emportée par quelque miracle incompréhensible.

Et c’est le bruit de l’espace que j’entends, ce bruit à la fois si proche et si lointain, tantôt courroucé et tantôt joyeux, paisible et surexcité, qui s’enfle, s’exaspère, se contient, et s’apaise, et S’immobilise, puis gronde, siffle, chante, se repose, se détire, repart avec des plaintes déchirantes de sirène, et s’endort en un ronflement monotone et continu. Et je suis dans ce bruit et dans cet espace comme dans une prison de rêve, une prison illimitée d’où je ne puis m’évader.

J’y songe un instant, je songe à cette fuite scandaleuse dont il est impossible que mon mari et les autres ne me croient pas complice, et je cherche les mots à dire et les gestes à faire pour m’échapper. Mais autour de moi, gardienne agile qui m’enferme dans un cercle de vide plus infranchissable qu’une enceinte de murs, court la vitesse, la vitesse désordonnée, illogique et formidable.

Et puis… et puis… oh ! Thérèse, je