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MAURICE LEBLANC

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« …Voici toute la nature qui s’unit à l’espace et l’emplit de joie et d’éclat. Je reçois tout cela d’un coup, en pleine figure, comme une vague de parfums, de formes et de couleurs. »

La phrase est de Maurice Leblanc lui-même. Je la lui emprunte parce que je n’en trouverais pas d’autre qui pût rendre avec plus de vigueur et de clarté la sensation qui vient de me fouetter en ouvrant Gueule-Rouge, 80-Chevaux, la nouvelle œuvre de Vie offerte au public par l’écrivain de l’Œuvre de Mort…

Voici toute la nature, en effet… Voici quarante contes qui se déploient comme une gerbe de force, d’amour et de sang. Ils sont plus étroitement unis que les chapitres d’un roman ; la Vie les noue. Elle passe en eux, page à page, phrase à phrase, mot à mot, d’un bout à l’autre bout du livre, de son titre dévorant : Gueule-Rouge, à son cri de la fin : « La Vie est bonne ! » Elle les embrasse de ses tentacules frémissants. Elle les brutalise, les bouleverse, les excite, les caresse, les fait rugir ou gémir, comme un belluaire s’amuse de ses fauves. Ou encore, elle les attendrit. Elle leur donne l’onction des larmes ou les éclabousse de gouttes rouges. Mais elle est toujours là, souriante, féroce, voluptueuse, tragique.

Maurice Leblanc est un possédé de la Vie. Il a reçu l’hostie sanglante. La Vie est toute en lui. Jamais il ne la blasphème. Loyale ou perverse, douce ou monstrueuse, il l’adore également, parce qu’elle est la Vie. Il l’adore pour sa frénésie autant que pour son silence, il l’adore pour tout ce que nous savons d’elle, et pour tout ce que nous n’en saurons jamais. Il l’adore dans son épouvante et dans son mystère, dans la morsure effroyable de Gueule Rouge, et dans l’énigme parée d’amour qui l’attend aux ruines de Buoux. Il va jusqu’à se prosterner devant les « demi-dieux, maîtres des grands secrets », les grands secrets qui se cachent aux ténèbres des moteurs, et sa génuflexion est à peine ironique. Elle serait tout à fait sincère s’il n’y avait pas de gens de lettres dans l’Olympe automobile. Mais, sur l’épiderme du