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Une heure dix… une heure vingt… La situation de Mme Lucre devenait intolérable. Ces dames Fromage et Durécu accentuaient leur air pincé. Mlle Lasseiche pouffait intérieurement.

Enfin des appels de trompe, l’éclair des phares, le grondement du moteur… On se précipita sur le perron.

— Qu’y a-t-il eu ? Pourquoi ce retard ?… Nous étions dans des transes !

— Une panne, répondit Antoine, presque rien… une bougie encrassée… Ah ! nous en avons eu, du mal, n’est-ce pas, Mademoiselle ?

— Oh ! oui, un moment je croyais qu’il faudrait renoncer au souper !

Ils semblaient très gais, heureux de vivre, amusés par l’imprévu de leur escapade. Adrienne sauta de la voiture, et Antoine se préparait à gagner la remise, lorsque des cris se firent entendre, de petits cris aigus et, cependant, comme étouffés.

Qu’est-ce que cela signifiait ? On écouta : les cris venaient du côté de l’automobile. Munis d’une lanterne, ces messieurs descendirent les marches du perron et s’approchèrent. M. Chanfrein jeta une exclamation de surprise. Sur le plancher du tonneau, entre les deux sièges. quelque chose de blanc remuait, quelque chose de blanc criait.

Chargés de ce quelque chose, ils remontèrent en hôte dans le vestibule. C’était, parmi des couvertures et les langes, un enfant, un gros garçon de trois ou quatre mois, rouge de colère.

IL y eut un instant de stupéfaction. On se regardait et l’on regardait ce petit être inattendu. Mme Lucre balbutia :

— Qui est-ce ? D’où vient-il ?

Les deux jeunes gens ne comprenaient pas, ahuris, les yeux écarquillés.

— Je te jure, maman, murmura Adrienne, comme si elle avait à se défendre contre une vague accusation.

Mlle Lasseiche éclata d’un rire mauvais :