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Que signifiait cela ? Était-ce une mystification ? À tout hasard, je suivis l’homme jusqu’au château.

Des flots de lumière électrique inondaient le vestibule. Je traversai une enfilade de salons somptueux. Puis le domestique ouvrit une porte, s’effaça devant moi, et j’entrai dans une grande salle où une vingtaine de convives, les hommes en habit, les dames en toilette de soirée, mangeaient et buvaient autour d’une table luxueusement servie.

La maître de maison, la comtesse sans doute, se précipita à ma rencontre.

— Comme c’est aimable à vous ! Mais d’abord que je vous présente…

Et s’adressant aux convives, elle expliqua :

— Monsieur a eu la bonté de m’accompagner en automobile au retour de la messe…

Des rires, vite étouffés, jaillirent. De fait, combien je devais paraître ridicule, dans ce milieu d’élégance et de joie, avec mes guêtres de cuir, ma culotte bouffante, mon petit pardessus au collet relevé, et surtout avec mon air à la fois ahuri et furieux.

— Voici ma nièce Suzanne, mon frère Paul (je saluais gauchement à chaque présentation), mon gendre le comte Armand, ma petite-fille Adrienne…

Sa petite-fille ! Pour la première fois j’eus l’idée de regarder la comtesse, un frisson me secoua. C’était une vieille femme, grande, d’allure imposante, de taille mince encore, soit, mais ridée, toute grise… soixante ans peut-être…

Il eût fallu rire, prendre la chose au comique. Je manquai d’esprit. L’humiliation était trop forte, je m’en allai.

Le nom du château, je me suis arrangé pour ne pas le savoir. La comtesse de quoi ? je l’ignore. J’espère qu’elle n’en sait pas davantage que son amoureux.

Maurice LEBLANC.