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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE
LA PREUVE
Le deuxième et le quatrième vendredi
de chaque mois, Henriette Gernal passait
l’après-midi chez sa sœur, dont
c’était le jour de réception. Ce vendredi
de mars, dans le vaste salon encombré
de monde, elle se sentit un peu lasse, fatiguée
du bruit et du mouvement, désireuse
de solitude. Elle résolut de se retirer.
Elle dit au valet de chambre de prévenir
Paul, son chauffeur. Une minute
après l’automobile pénétrait sous la
voûte d’entrée et s’arrêtait devant la
porte du vestibule. Mme Gernal monta
et dit à Paul :
— Vous ferez le tour du lac.
C’était une limousine Étoile d’Or, puissante
et confortable. En quelques secondes
on atteignit l’Arc de Triomphe,
puis on fila vers le Bois. Henriette s’était
renversée sur les coussins, et, bien installée,
le cerveau confus, elle savourait
la douceur et l’apaisement de cette promenade.
Elle aima les sapins noirs qui
se reflètent dans le lac. Elle aima l’eau
mélancolique et les rochers qui surplombent
l’île. Et l’ombre du soir se mêlait à
la lumière affaiblie du jour.
En face des tribunes d’Auteuil, elle
frappa un coup léger à la vitre. C’était le
signal convenu pour le retour. Paul n’entendit
pas. Elle frappa un second coup,
plus fort. Il ne se retourna point. Et à
l’instant même où cela se produisait Henriette
se rendait compte que l’allure était
tout à fait contraire au train habituel, si
modéré.