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et c’est tout de même vexant. Mais quoi, on ne va pourtant pas se tuer.

D’autres encore survinrent. À la fin du premier tour, Théroult passait septième devant les tribunes. Et il passa assez piteusement, plutôt mécontent de lui.

— Ce qu’on doit se fiche de nous. Nous faisons cependant du bon 90.

— Oui, mais on pourrait faire du 150. Tenez, voilà Billing, l’Américain.

— Billing, avec sa brouette ? Ah ! celui-là, par exemple, il nous embête. Tu prendras la file, mon bonhomme.

Il activa, mais l’Américain poussait ferme. Théroult, crispé, jura :

— Nom de d…, il me sera pas dit que ce fiacre aura raison d’une Rivard-Brasil.

En une minute l’intervalle s’agrandit. Cinq minutes encore, et la voiture américaine disparaissait. Mais une autre apparaissait, devant Théroult cette fois, la dernière qui l’avait dépassé.

— C’est Chênassis. Si on lui reprenait sa place, à ce mauvais coucheur-là !

Mais pour lui reprendre sa place il aurait fallu « lâcher tout », comme disait Théroult, et lâcher tout c’était faire du 150. Il n’osa pas.

— Non, c’est trop bête, s’écria-t-il, maintenons la distance, et, s’il faiblit, je le brûle.

Chênassis ne faiblit pas, et, durant plus d’un tour, Théroult le suivit à trois cents mètres.

De temps à autre il jurait et sacrait. Cela ne changeait rien aux choses. Il eût fallu donner le petit coup de pouce. Décidément, il n’osait pas.

— À quoi bon ? répétait-il, j’ai la galette.

Soudain un coup de trompe.

— Ah ! zut alors, grogna le mécanicien, c’est Billing… Le voilà… Allons, il faut se ranger…

— Me ranger ! hurla Théroult, j’aimerais mieux crever.

La Rivard-Brasil sembla faire un bond, plonger dans l’espace. Aussitôt ils rejoignirent Chênassis.

— Faut-il ? demanda Théroult.

— Eh ! parbleu, dit l’autre.