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Elle vint. À minuit elle entrait dans la petite église et se plaçait à son banc accoutumé. Je l’observai de loin, caché dans l’ombre. La cérémonie se déroula. Quelques minutes avant la fin, je sortis, suivi de deux paysans qui n’attendaient que mon signal. La voiture stationnait au fond de la place, à un endroit ordinairement désert. Elle était prête déjà et haletait bruyamment dans le silence, ses deux gros yeux de monstre perçant l’espace.

Je m’approchai du mécanicien et lui demandai du feu. Il me présenta sa cigarette. Brusquement je lui saisis le bras tandis qu’un de mes hommes le bâillonnait et que l’autre lui liait les jambes. Puis, à nous trois, nous le dépouillâmes de son pardessus que j’endossai (par excès de précaution, je m’étais accoutré comme lui, culotte courte, guêtres et veston de cuir), nous le ficelâmes soigneusement et mes deux acolytes l’emmenèrent.

Il était temps. Des gens sortaient de l’église. L’inconnue elle-même s’avançait. Elle me dit :

— Eh bien, Victor, je vous avais recommandé d’amener l’automobile au bas des marches.

Hélas ! j’aurais été bien embarrassé de le faire, ignorant comme je suis du fonctionnement et de l’organisme de ces machines compliquées. Je bredouillai quelques mots confus. Sans y prêter attention, elle s’installa, je montai près d’elle, elle prit la direction, déclancha, tourna des choses, bref exécuta toute la mystérieuse manœuvre et nous partîmes.

Je l’avouerai, je n’étais pas très à mon aise. Un hasard, une interrogation, un ordre m’obligeant à faire montre de mes talents de mécanicien, une panne, et j’étais découvert. Que dirait-elle alors ? Le moins qu’il pût n’arriver, et j’envisageais cette perspective avec une véritable terreur, c’était qu’elle me déposât sur le bord de la route, en rase campagne et par une demi-douzaine de degrés au-dessous de zéro.