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— Non, Adrienne était là. J’ai forcé l’allure, Redeuil est revenu, j’ai forcé encore, et puis encore, mais il revenait toujours. Alors, j’ai ragé. Adrienne battait des mains… pour lui évidemment. Ah ! je lui ai mené un rude train… vingt kilomètres, trente… les records tombaient… quarante… quarante-cinq… il était toujours dans mon dos, et je savais bien qu’il n’avait qu’à vouloir pour me dépasser… Alors, je me dis : « Eh bien, si ce n’est pas moi, ça ne sera pas lui non plus ! » Tout cela, vois-tu, c’est la faute d’Adrienne… Si elle n’avait pas applaudi…

— Parbleu !

— J’ai eu l’idée en passant devant elle, quand il n’y avait plus que trois tours. Ah ! Il m’en a fallu du courage ! Pense donc ! J’avais derrière moi la moto de Redeuil, et puis Redeuil, et puis la moto de Sarmpieri, et puis Sampieri. Et on marchait à près de soixante-quinze ! J’en ai froid, vois-tu, c’est que c’est brutal, ces machines-là… Non, j’avais trop peur… Plus que deux tours… Le souffle, les jambes me manquaient..… C’était fini… La cloche… Il me sembla entendre Redeuil qui criait de passer… Alors… nom de Dieu ! comment ai-je pu ? un petit coup au guidon à droite, et tu vois d’ici… la culbute…

Il vida son verre. Hédouin n’avait pas bronché. Il dit simplement avec un accent vague d’admiration :

— Vrai, il t’en a fallu du courage.

— Un rude, affirma Bartissol, flatté.

Ils trinquèrent de nouveau. Puis Hédouin demanda :

— Et Adrienne ?

— Eh bien quoi ? Redeuil s’était tué sur le coup, moi je me cassais la clavicule, personne ne passait le poteau… alors elle n’était pas obligée de me prendre.

— C’est juste, conclut Hédouin.

Et ils se remirent à boire en silence.

Maurice LEBLANC.