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« Mon cher père, il y a longtemps que je veux t’écrire et que je n’ose pas. J’ai assez bien réussi. Je suis coureur cycliste. C’est une carrière qui ne te plaira pas beaucoup, mais sois tranquille, j’ai trop de respect pour le nom que tu portes et je cours sous un autre nom. Aujourd’hui je t’envoie cela : achète des livres avec, ça me fera plaisir, ou bien donne-le aux pauvres… »

M. Lesuper déchira la lettre, jeta les cent francs dans un tiroir et n’y toucha pas.

Quinze jours après, autre lettre chargée, timbrée de Nancy, mais sans un mot d’explication.

Et ainsi, de quinzaine en quinzaine, de mois en mois, M. Lesuper reçut cinquante, cent francs, deux cents francs. Cela venait de tous les coins de la France, de Dunkerque ou de Tarbes de Brest ou de Nice. Parfois un mot accompagnait l’envoi : « Mon cher père, ça va de mieux en mieux ; aujourd’hui j’ai gagné la course scratch. Ci-joint, tant. Si tu n’en as pas l’emploi, mets-le de côté pour les mauvais jours. »

En une année, il expédia deux mille francs. Cependant il n’y en avait que dix-sept cents dans le tiroir : M. Lesuper avait dû prendre quinze louis.

Le jour même où il fit ce prélèvement, M. Lesuper, qui avait fini par savoir le nom sous lequel courait son fils, le remercia par lettre, lui dit qu’il oubliait le passé et qu’il retirait sa malédiction.

Et quelque temps après, un dimanche matin, M. Lesuper débarquait à Paris. À quatre heures, au vélodrome Buffalo, il y avait match entre l’Américain Madison et le jeune Antoine Lepreux, autrement dit Horace Lesuper.

Ce match, nous l’avons tous présent à