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— Oui, nous voulions l’épouser tous deux.

— Et elle voulait vous épouser tous deux ? articula Hédouin stupidement.

— C’est cela… ou plutôt non… elle ne savait pas… elle hésitait entre lui et moi. Je te parle, du temps où Redeuil vivait encore.

— Je suppose bien.

Bartissol remplit son verre, le vida et continua dans un besoin de confidences qu’encourageait la torpeur béate de son auditeur.

— Ça ne nous empêchait pas d’être bons amis… on avait toujours été comme deux frères… donc c’était décidé : celui dont elle ne voudrait pas lèverait le camp sans protester. Au fond, j’étais sûr qu’elle me choisirait… Redeuil aussi… Mais elle ne savait pas, elle, et c’était diablement ennuyeux, tu l’admettras…

— Si je l’admets !

— Alors, pour en finir, la veille de notre grand match sur cinquante avec Sampiéri, elle nous dit : « Ça sera demain que je ferai mon choix… Oui, le premier des deux qui passera la ligne d’arrivée. Ça vous va-t-il ? » Si ça nous allait !

J’étais sûr d’arriver.

— Redeuil aussi.

— Redeuil aussi. Et le lendemain on s’alignait… Ah ! je te jure que j’avais froid au cœur. Pense donc, Adrienne était là, au premier rang… et tu sais combien j’étais pincé !… pour la vie ! Le coup de pistolet… je file comme une flèche… me voilà le premier derrière ma moto…

— Celle à Marie Houstay ?

— Juste. Alors tu vois d’ici si je les ai lâchés… Eh bien non, je n’avais pas fait un tour que la moto de Redeuil était dans mon dos. J’étais fichu… Ainsi moi, je sens ça dès le début… Au premier tour je peux dire si je passerai le poteau en tête ou si je resterai en route.

— Et ça t’a démoli ?