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Il dit cela du ton convaincu d’un amoureux qui parlerait d’une femme à laquelle il ne peut prétendre.

— De sorte que tu n’as pas pu résister… ?

— Je n’ai pas pu… Voilà des années que j’y pense. Mais il fallait de l’argent… Le père a été malade… j’ai dû le nourrir… Et plus ça allait plus j’en voulais une… Alors…

Alors il avait essayé de s’approprier la mienne. Cette envie, plus forte que tout, me toucha au plus profond de mon âme de cycliste fervent. Il est bien que l’on éprouve de ces envies-là. Et si l’on ne recule devant rien pour les satisfaire, on fait preuve ainsi d’une volonté et d’une énergie qui ne sont pas du ressort de tout le monde.

J’abandonnai toute idée de vengeance. D’ailleurs il avait une figure si douce et si sympathique, une de ces bonnes figures d’ouvrier qui respirent l’honnêteté et la droiture.

JE me sentis subitement tout disposé faire quelque chose pour lui. L’essentiel était d’abord de ne pas le laisser crever au milieu de la route.

Je lui demandai, après une minute de réflexion ;

— Écoute, je vais essayer de te tirer de là. Es-tu en état de te tenir sur ma bicyclette ?

— Pour aller où ?

— Chez ton père.

— Et vous ?

— Je te conduirai.

— À pied ?

— À pied.

Une demi-heure plus tard mon nouvel ami, Denis Guilbain, assis sur ma bicyclette, sa jambe malade étendue sur des