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En mémoire du père, elle encourageait leurs volontés et leurs rêves sportifs. Bicyclette, football, chasse, canotage, alpinisme, chacun suivant son âge et ses goûts, ils firent tout ce qui leur plaisait.

Trois ans, jour pour jour, après la mort du comte, Henri, le fils aîné, tirait dans une salle d’escrime du boulevard Haussmann. L’épée de son adversaire l’atteignit au cou. Elle était démouchetée. Henri tomba mort.

Trois ans après, en 1896, le second fils, Georges, courant à une réunion d’amateurs cyclistes à Buffalo, toucha si violemment la roue d’arrière du tandem qui l’entraînait, qu’il fut projeté à terre. Il se brisa le crâne.

Le destin se révélait. De quatre ans en quatre ans, une naissance, De trois ans en trois ans une mort. Cette affreuse prévision allait-elle se réaliser ?

Dans quelle angoisse Mme d’Argant dut-elle attendre l’échéance fatidique, cette année 1899, qui mathématiquement devait encore lui arracher un de ses fils, Philippe sans doute, puisque la mort semblait suivre l’ordre du temps ?

L’année passa. Pour la première fois, depuis des mois et des mois, la comtesse eut un sourire en embrassant le 1er janvier 1900, les trois enfants qui lui restaient.

Le lendemain, Philippe était tué dans un accident d’automobile.

Trente mois plus tard, Jacques, le quatrième, trouvait la mort au cours d’une ascension en Suisse.

L’an passé, Pierre, le dernier survivant, l’héritier du titre et de la fortune des Argant, entrait dans sa vingtième année.

Sur sa tête, la comtesse avait reporté toutes ses tendresses exaspérées, tous les élans de son pauvre cœur meurtri. Elle ne lui souriait pas. Non. Elle ne pouvait plus sourire. Mais il lui arrivait de verser des larmes plus douces quand elle le regardait. Car elle trouvait encore des larmes en elle.