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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE
L’IMPRÉVU
— La panne, mais c’est la raison
d’être de l’automobile ! Sans la panne
l’automobile serait la chose du monde la
plus monotone et la plus fastidieuse.
Je regardai Angesty avec un certain
étonnement. Je le sais d’esprit assez paradoxal,
mais l’éloge de la panne dans la
bouche d’un chauffeur aussi convaincu,
cela me dépassait quelque peu.
— Alors, lui dis-je, en ce moment
même où nous roulons fort agréablement
dans votre 14-chevaux, vous n’êtes
pas sans espérer qu’une panne interrompra
la jolie excursion à laquelle vous
m’avez convié ?
— Si je l’espère ! mais j’y compte absolument,
comme chaque fois où je me
mets en route. Voilà cinq ans que je pratique
ce délicieux sport, et j’avoue que si
je n’avais pas eu la chance d’accumuler
panne sur panne, il y a longtemps que
j’y aurais renoncé. Comment, rouler
pendant des heures et des journées sans
autre arrêt que les haltes prévues ! Se
dire : « J’irai de cette ville où je suis dans
cette ville qui en est séparée par un intervalle
de cent-cinquante kilomètres »,
et y aller comme ça, tout de go, sans incident !
Mais, pour Dieu, qu’on m’explique
le charme de cette randonnée insipide !
Soit, j’y consens, il y a la vitesse, la
griserie d’être emporté das l’espace à
une allure exceptionnelle, la joie de respirer
plus largement, de sentir plus profondément,
de poser ses yeux sur des
spectacles continuellement renouvelés,
et vingt autres voluptés dont on ne cesse
de nous rebattre les oreilles.