Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/333
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE
Ma Femme et son Mari
Le docteur Daurenne nous raconta
cette plaisante aventure :
Cela date de l’automne dernier. Je revenais
en automobile des bords de la
Loire, où j’avais été chasser durant quelques
jours. À l’endroit le plus désert des
plaines de Sologne, une panne me surprit.
Nous n’en avions pas encore découvert
la cause, mon mécanicien et moi,
lorsque survint une automobile qui suivait
la même direction que nous.
Entre voyageurs qui se trouvent en
pays perdu, on compatit plus facilement
à l’infortune d’un collègue. La voiture
s’arrêta. Un monsieur en descendit, couvert
comme moi d’une ample peau de
bique.
Je lui expliquai ma situation et la nécessité
où j’étais d’arriver le soir même
à Paris pour dîner. Très aimablement il
m’offrit une place. Mon mécanicien se
tirerait d’affaire comme il pourrait. J’acceptai.
Un chauffeur conduisait sa voiture. Il
s’assit près de lui, tandis que moi je prenais
place dans le tonneau, auprès de sa
femme, ou plutôt auprès de l’amas de
fourrures et de voiles qui représentait sa
femme.
Tout cela fut effectué rapidement. Eux
aussi ils étaient pressés. Il n’y eut pas
de présentation, et je jugeai inutile, du
moins jusqu’à nouvel ordre, d’adresser
la parole à ma voisine. Elle ne m’y conviait
d’ailleurs pas, préoccupée surtout,
me sembla-t-il, de se garantir contre un
petit vent glacé qui nous prenait en
écharpe.
Et tous quatre, sous le masque, sous le
déguisement des peaux et des casquettes
rabattues, nous roulâmes en silence.
Une demi-heure passa. L’automobile
était une quatorze-chevaux. Nous avancions.