Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’absolu contraste qu’elle formait avec celle que je venais de quitter. Aussi grande et aussi forte que Lucienne était mignonne et faible, c’était une créature de plein air et d’effervescence physique. Je l’aimai et l’épousai.

Je n’insisterai pas sur notre bonheur durant les premiers mois. Clotilde se montra la femme charmante et docile, la ménagère attentive, la maîtresse de maison entendue que nous rêvons tous. D’ailleurs, n’avions-nous pas les mêmes goûts ? Moi aussi j’aime les sports, et les ayant pratiqués tous avec plus ou moins de ferveur, je puis dire que je me suis maintenu en bon état de souplesse et d’entraînement. Jours délicieux où nous errions à l’aventure par les champs et par les bois, mangeant au hasard des auberges, nous endormant sur le revers des fossés ! Oh ? comme tout cela était loin des heures fiévreuses et solitaires où Lucienne et moi pensions l’un en face de l’autre avec une sorte d’antagonisme pénible !

Ma première sensation désagréable — d’autres évidemment avaient dû déjà m’égratigner sans que j’y prisse garde — je l’éprouvai un matin que nous allions à bicyclette vers la ville voisine. Yves Lessart et son frère le romancier, Georges Valoise, d’Estrieux, nous accompagnaient, lorsque l’un d’eux, apercevant la vieille porte qui marque l’entrée de la villa, s’écria :

— Une course, voulez-vous, pour nous ouvrir l’appétit ? Au premier qui atteindra la vieille porte…

— J’accepte, ripostai-je, me courbant sur mon guidon et brutalisant mes pédales.

Et je partis, suivi des autres.