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vêtement dont j’avais enveloppé la jeune fille, et poussa un hurlement de douleur.

Et tout de suite, il l’arracha du siège. Il l’étendit sur un talus de mousse, et, à genoux devant elle, il lui couvrait les mains de baisers.

Puis il revint à moi. Son visage m’effraya, tellement les traits en étaient bouleversés. Et il me dit d’un ton saccadé :

— C’est ma fille… notre dernière fille… nous en avions trois… toutes trois mortes… Allez… vite… par là… allez prévenir sa mère… prévenez-la doucement… elle arrive par ici… par ce sentier… elle me suivait… Oh ! ma dernière fille !… allez donc !…

Je m’éloignai rapidement. Je n’avais pas fait cent pas qu’un coup de feu retentit.

Il s’était tué.

Et en même temps j’aperçus, tout au bout du sentier qu’il m’avait désigné, j’aperçus une dame qui s’avançait lentement, comme une personne qui se promène, en cueillant de grandes fougères.

Alors, sans réfléchir, je me précipitai vers ma voiture. Je dételai le cheval. Au premier essai la mise en marche s’effectua.

Et fou d’épouvante, les cheveux dressés sur la tête, je m’enfuis, laissant là les deux cadavres qui gisaient à l’extrémité du chemin par où s’en venait la mère, tout doucement, les bras chargés de grandes fougères…

Maurice LEBLANC.