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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE
L’ÉPOUVANTE
Des amis m’attendaient pour déjeuner.
L’heure du rendez-vous était passée, et
vingt kilomètres encore me séparaient de
l’étape. Je marchais donc aussi vite que
mon automobile le permettait, lorsque
j’aperçus, peut-être à, cinq cents pas devant
moi, une personne à cheval.
Presque aussitôt je me rendis compte
que c’était une amazone et qu’elle venait
à ma rencontre.
Je n’eus même point l’idée de ralentir.
La route est spacieuse, deux bandes de
gazon en doublent la largeur, et l’amazone
suivait à gauche un petit sentier
tracé dans ce gazon. En outre, je l’affirme
sur ce que j’ai de plus sacré au
monde, le cheval, à mon approche, ne
donna aucun signe d’inquiétude.
Je passai donc, et ce fut subit, inattendu.
La bête fit un écart. J’entendis un
cri. Je me retournai, j’eus la vision d’une
chute et j’arrêtai brusquement.
Aussitôt je me mis à courir. La dame
gisait au pied d’un arbre, inanimée. Du
sang coulait sur son front, Elle avait dû
être projetée contre l’arbre.
Je me penchai. Je vis ses yeux fixes,
je touchai ses mains, j’interrogeai son
cœur. Elle était morte.
Au loin le cheval galopait.
Je ne dirai point les sentiments qui
m’étreignirent en face de cette femme
dont le destin, m’avait fait le meurtrier involontaire.
Je ne dirai point mon angoisse,
mon affolement, mes remords.
Non. Je veux exposer les choses, celle-là
et les autres qui s’ensuivirent, je veux les
exposer simplement, dans leur horreur
tragique. Elles n’ont besoin d’aucun commentaire.