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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE
L’INEXPLICABLE
Après cinq années d’amour sans espoir,
voici que j’épouse la baronne d’Anglois.
J’avoue que mon bonheur m’étonne
moi-même. Car enfin… Et puis,
tant d’obstacles me séparaient d’elle !
Mais tout cela est si mystérieux… Jamais
je ne comprendrai… jamais je ne saurai…
Il y a un an, le mari de Charlotte, le
baron d’Anglois, qui habitait le château
de la Varaine, situé à quatre lieues du
mien, fut trouvé dans son lit, mort,
rappé de deux coups de couteau.
Je n’oublierai pas l’émotion que me
causa cette nouvelle affreuse. Bien qu’il
fût marié à celle que j’aimais, et que je le
haïsse de toute la jalousie d’un amoureux
rebuté, je me défendais mal contre
sa bonne humeur, sa gaieté franche et
sympathique. L’avant-veille encore il
était venu me chercher en automobile et
m’avait reconduit le soir.
Je suivis l’enquête de très près. On établit
d’abord sans peine que le criminel
devait connaître les habitudes du baron,
heure de son coucher, la négligence
avec laquelle il fermait les volets de sa
chambre. Le mobile du crime restait
obscur. Ni le portefeuille n’avait été volé,
ni le secrétaire forcé. S’agissait-il de vengeance ?
Cette nuit-là il pleuvait. On chercha
sur la terre mouillée, au-dessous du balcon
que l’assassin avait dû franchir, des
traces de pas. Ce furent des traces de
roues que l’on découvrit, les traces absolument
distinctes de deux roues de bicyclette.
Oui, l’homme était venu à bicyclette,
s’était jeté résolument au travers