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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE
LE DRAME
Tous les soirs, en ces premiers jours
d’automne qui nous réunissaient dans le
grand salon du château, nous demandions
à notre voisin, M. de Beautrelet, de
nous conter quelqu’une de ces affaires
criminelles auxquelles il fut mêlé jadis
comme juge d’instruction. Il les contait
merveilleusement, sans longueur, sans
habileté apparente, en petites phrases
sèches qui nous faisaient frissonner.
Ce soir-là, nous dûmes le prier plus
longtemps. Peut-être trouvait-il un peu
indiscret le tribut quotidien qu’on lui imposait.
À la fin, cependant, ces dames
y mirent une telle insistance qu’il lui fallut
s’exécuter. Et il dit :
— J’hésitais, par égard pour vos nerfs,
mesdames, car le crime auquel je pense
en ce moment est certes la chose la plus
horrible et la plus mystérieuse qu’il
m’ait été donné de voir au cours de ma
longue carrière. Mais, puisque vous
l’exigez…
Il réfléchit, puis commença :
— Tout d’abord, je dois dire que l’affaire
date de deux années seulement. Le
mois précédent j’avais donné ma démission.
Ce n’est donc pas comme magistrat
que j’y fus mêlé, mais comme simple témoin,
presque comme acteur. J’assistai
à la chose, je la vis… je la vois encore…
C’était en juillet, dans un des coins les
plus perdus de la France — et c’est là
sans doute pourquoi ce crime extraordinaire
ne fit pas plus de bruit. Je passais
l’été chez un de mes amis, célibataire,
riche, et dont le plaisir est de recevoir
dans son très beau château des Cévennes
les meilleures familles des villes avoisinantes.
Or, après que plusieurs séries