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— Et vous avez bien raison ! D’ailleurs, ici, chacun est libre. Allons, ne perdez pas une minute, je ne vous retiens pas.

Et elle s’accouda au balcon de pierre pour le voir partir, avec une intention évidente de raillerie qui eût déconcerté tout autre que Stéphane. Mais, fort tranquillement, sans plus de gêne que si elle n’eût pas été là, il se mit en selle et se dirigea vers la grille à petite allure.

Jamais Geneviève ne monta à cheval avec plus de passion que pendant les jours qui suivirent. Elle y mettait une sorte d’acharnement, entraînant son frère et ses deux prétendants, leur imposant des courses folles à travers plaines, forêts et vallées, se livrant aux excentricités les plus imprudentes, sautant les obstacles, galopant des heures entières.

Le soir à table, on racontait ses prouesses. Son père la grondait de ne pas assez ménager les chevaux. Elle riait :

— Bah ! un cheval, c’est infatigable… un cheval fait tout ce qu’on lui demande.

Elle ne parlait guère à Stéphane, et semblait ne point s’occuper de lui. À peine parfois lui lançait-elle quelque pointe.

— Eh bien, nous avons roulotté aujourd’hui ?

— Mais oui, une petite promenade de digestion.

Pour lui faire plaisir autant que par conviction, ses deux prétendants dénigraient la bicyclette. Stéphane ripostait, sans jamais s’emporter, mais avec une ferveur et une sincérité qui forçaient l’attention. Elle-même se prenait à l’écouter. Souvent il sentait son regard peser sur lui. Que pensait-elle ?

Une fois, au déjeuner, elle parla d’une fleur curieuse qu’ils avaient vue la veille au col des Lautars et qu’elle regrettait de n’avoir point cueillie. Stéphane s’offrit à l’aller chercher. Elle se moqua.

— Mais, par la grand’route, il vous faudrait faire un détour énorme ! C’est horriblement loin. Nous irons directement, nous, par le raccourci, n’est-ce pas Jacques, n’est-ce pas Lauzay ?