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Gueule-Rouge, 80-Chevaux
III
AGONIES
On eût dit que la ville entière s’était
concentrée sur la jolie promenade dont
elle a le si juste orgueil, la ville entière
et les milliers d’étrangers qui affluent de
toutes parts, amoureux de sa beauté, de
son luxe, de la mer bleue qui la décore,
du merveilleux soleil qui la baigne aux
4ristes jours d’hiver.
C’était la grande semaine d’automobile.
Ce jour-là se disputaient les épreuves du
kilomètre et du mille, sur la longue route
qui suit la courbe harmonieuse de la
baie,
D’un côté, adossées à la mer, se succédaient
les tribunes. De l’autre, contre les
hôtels, la foule était massée, noire, grouillante,
contenue par une mince palissade
à claire-voie, que des soldats gardaient
de place en place.
Du tumulte, de la joie, des rires, des
exclamations, du mouvement, des allées.
et venues, et puis des minutes de silence,
pas un geste, la vie est comme suspendue…
c’est la course qui se poursuit, une
automobile qui passe.
Est-ce bien une automobile ? On ne
peut distinguer aucune ligne précise, aucun
détail de forme. On voit une chose
qui passe, voilà tout, une chose vague,
de couleur indéterminée.