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de soins excessifs et la couve de ses regards extasiés, elle lui témoigne, de son côté, une sollicitude toute maternelle.

Et c’est même à ce propos que le hasard me mit sur le chemin de la vérité. On revenait vers Passy, elle me dit :

— Ne trouvez-vous pas, monsieur, que mon mari habite trop loin de son journal ? Il a beau dire, je suis sûre que c’est une corvée pour lui de faire ce trajet-là en omnibus quatre fois par jour.

— En omnibus !… m’écriai-je étonné.

— Mais oui, le Passy-Bourse quatre fois par jour, n’est-ce pas un voyage ? Cela lui donne un quart d’heure pour déjeuner.

M. Quemin déposa à terre l’enfant qu’il portait, confia la voiture à sa femme, me prit le bras et dit :

— Taisez-vous, monsieur, je vous en supplie.

— Mais l’omnibus ?…

— Je ne le prends jamais… ça ferait douze sous par jour, vingt-quatre les mois d’hiver, plus de deux cent cinquante francs par an ; j’aime autant les économiser. Seulement je ne le dis pas à ma femme, elle n’accepterait pas…

— Alors, le pas gymnastique ?

— Eh bien, voilà : j’y suis venu peu à peu, sans m’en apercevoir, pour économiser trois sous une fois, six sous l’autre, jusqu’au moment où, somme toute, j’ai vu que ce n’était pas la mer à boire.

— Et vous ne l’avez dit à personne ?

— Oh ! monsieur, on ne parle pas de ces choses-là. Pensez donc, raconter qu’on ne prend pas l’omnibus parce l’on veut tout garder pour sa femme et pour ses mioches, non, ce que l’on rirait de moi ! Alors j’ai posé pour l’athlète, pour le monsieur qui fait cela par hygiène, par entraînement, par amour du sport. Oh ! le sport, monsieur, ce que je m’en fiche !