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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE
Godefroy, recordman
Après vingt ans de mariage, M. et
Mme Davoine, herboristes à Levallois-Perret,
eurent la joie et l’orgueil de mettre au
monde un garçon qui reçut le nom de
Godefroy.
Ils résolurent de faire de Godefroy un
homme.
— Oui, un homme, affirmait M. Davoine,
et non pas une loque, un paquet
de saindoux comme moi. Tâtez mon
bras : aucune trace de biceps. Regardez
ma poitrine étroite et rentrée, mon dos
arrondi, mes jambes maigres, mon ventre
énorme… N’est-ce pas pitoyable ? De
la graisse où il n’en faut pas, et jamais
des muscles où il en faudrait. Godefroy
aura des biceps. Godefroy aura du poumon,
du muscle, du jarret. Godefroy sera
un homme.
On ne devient un homme que si on est
élevé à la dure. M. Davoine avait été élevé
dans du coton et dans l’eau tiède, et
M. Davoine ne se considérait pas comme
un homme.
Godefroy fut élevé à la dure. Tout
d’abord on l’habitua à sa qualité d’homme
par des déluges d’eau froide. L’eau
froide, voilà ce qui vous forge un homme,
disait M. Davoine.
— Si je le pouvais, s’écriait-il, je flanquerais
mon fils à la Seine, tous les matins.
Débrouille-toi, tu es un homme.
La Seine fut représentée par une cuve
où l’héritier des Davoine conquit en hurlant
les bénéfices de l’eau glacée.