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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE
Le Jaguar et Frisson-de-Lune
— Moi aussi j’ai été enlevée, s’écria la
comtesse de Frécigny.
Tous les regards se portèrent vers la
châtelaine, la paisible et vertueuse comtesse,
si jolie encore avec ses cheveux
gris et son doux visage sans rides.
— Oui, enlevée de ce château, et, vous
le dirai-je, par quelqu’un qui n’est pas
loin d’ici, peut-être même dans ce salon.
Mais qu’il ne craigne rien. Je ne le nommerai
point.
La plaisanterie amusa ; il n’y avait là,
en dehors du très vieil oncle de la comtesse,
du curé et de la dame de compagnie,
que des jeunes femmes et des jeunes
gens.
Et la châtelaine commença :
— J’avais dix ans et demi, mes deux
frères treize et douze. Vous les connaissez,
ces deux aventuriers magnifiques,
ces pourfendeurs de sauvages, ces découvreurs
de continents, Jean l’Africain
et Robert l’Asiatique, comme nous les
appelons en souvenir de leurs explorations.
Déjà les enfants qu’ils étaient annonçaient
les hommes qu’ils sont. Les
jeux et les exercices qu’ils préféraient
faisaient prévoir leurs exploits futurs.
D’études grecques ou latines, de leçons
à apprendre, ils n’avaient souci. Ils
n’eurent jamais d’autres livres que ceux
de Fenimore Cooper, Gabriel Ferry et
Gustave Aymard. Jean c’était Œil-de-Faucon,
Robert Cœur-Loyal.