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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE
Le Naufragé
La tempête s’engouffrait si violemment
dans l’étroite et longue rue qui aboutit
à la mer, que Stéphane Argueil et sa fiancée
Madeleine n’avançaient qu’avec la
plus grande difficulté. Il dut lui prendre
le bras. Elle riait, suffoquée et les cheveux
en désordre.
— Vous êtes adorable ainsi, Madeleine,
lui dit-il.
Ils s’aimaient infiniment. Orpheline et
pauvre, la jeune fille avait été acceptée
à contre-cœur par les parents de Stéphane.
Mais son charme les avait conquis
pendant ces trois mois d’intimité
au bord de la mer. Le mariage devait
avoir lieu dès la rentrée à Paris.
En arrivant sur la plage, Madeleine
s’enthousiasma :
— Oh ! les vagues sont splendides ; je
n’en ai jamais vu de si belles.
Mais ils furent surpris. Une grande
agitation régnait près du petit môle où
les matelots s’embarquent. Tous les baigneurs
s’y étaient massés. On gesticulait.
Des voix même dominaient le tumulte du
vent.
S’étant approchés, ils s’informèrent.
— Mais vous ne savez donc pas ? leur
dit-on. Regardez là-bas, à gauche, en
droite ligne devant la pointe de la falaise.
Ils cherchèrent un instant parmi le
chaos mouvant que formait la mer démontée.
Et Stéphane s’écria :
— Oui, je vois… on dirait…
Quelqu’un lui passa une lorgnette.
— C’est bien cela… il n’y a pas de
doute… C’est un homme sur un radeau…
il fait des gestes… il agite quelque chose
de blanc.
— Oh ! quelle horreur, murmura Madeleine.
Alors cet homme va périr ainsi…
devant nous…