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comme des choses étrangères sur lesquelles je n’avais plus ni droit ni contrôle.

Marie-Henriette balbutia :

— C’est fini… laisse-moi…

Un sursaut d’énergie me secoua. Je la soulevai, et notre élan, une seconde, fut si vif que j’eus l’impression d’ailes miraculeuses qui m’emportaient par bonds énormes. Élan passager, surexcitation nerveuse… Comment y eût-elle répondu ? Nous restâmes presque sur place. Elle me supplia :

— Arrêtons-nous, je t’en prie, je souffre.

J’eus comme une envie étrange de la brutaliser, de la battre, oui, et de lui crier des injures, ainsi qu’un charretier qui rudoye sa bête.

— Marche donc, avance… eh bien, quoi ?

Et l’autre, l’autre qui venait… Ah ! c’était ma défaite… j’étais vaincu dans ma lutte contre cet homme… Plus vigoureux et plus agile, il allait me reprendre ma proie.

— Sacré nom !… veux-tu avancer ! m’écriai-je, fou de rage impuissante, et la secouant violemment par l’épaule. Elle gémit :

— Oh ! tu me fais mal, tu me fais mal.

C’était fini. Je n’en pouvais plus. Une minute encore de combat suprême, avec le bruit de ferraille contre nous, et puis elle s’aplatit lentement de côté, sur le talus de la route, m’obligeant à descendre.

Un fracas, quelque chose qui s’écroule à nos pieds, qui se relève à demi, et qui demeure là, sur l’herbe, à genoux… C’était lui. Il haletait comme une bête à l’agonie, rouge, congestionné, les yeux en sang, de l’écume au menton. Des mots inachevés agitaient ses lèvres. Son col paraissait l’étrangler, et, de son petit bras, court comme une nageoire, il battait l’air avec des mouvements de poisson sorti de l’eau.