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— Qu’il vienne donc, le malheureux ! Qu’il te reprenne à moi !

Mais je n’avais pas achevé, qu’une crainte sourde fit tomber mon allégresse : on eût dit que les forces de Marie-Henriette la trahissaient. Était-ce possible ? Pour m’illusionner j’activai l’allure. Elle murmura :

— Je ne peux plus, je ne peux plus.

— Tu ne peux plus, m’écriai-je avec une certaine âpreté, ah ! ce serait drôle !

Mais comment douter ? Ne sentais-je pas la résistance de plus en plus grande qu’elle m’opposait ? C’était la surprise, la peur, l’émotion qui tuaient ses jambes, si agiles d’ordinaire et si opiniâtres. Je m’écriai :

— Un peu de courage, voyons, cela va se remettre.

Elle se courba davantage. Je la vis qui pesait alternativement de tout son poids sur chaque pédale. Moi, mon bras se raidit jusqu’à l’effort. Mais un bruit de ferraille sonna derrière nous. Je me retournai. Trente mètres au plus nous séparaient de l’homme. À sa position, je le devinai épuisé, à bout de forces, lui aussi.

Je doublai, je triplai mon effort. Les muscles de mon bras étaient comme les ressorts prêts à se rompre. L’espace aurait dû fuir sous nous. Au contraire, des arbres à droite et à gauche se déplaçaient avec une lenteur désespérante. Et l’homme gagnait…

J’étouffai un juron. Vraiment je lui en voulais, à cette femme, d’une telle défaillance, et d’autant plus qu’à mon tour et peu à peu je faiblissais, que mon étreinte s’amollissait et que mes jambes mouraient, devenaient comme des fardeaux que j’avais du mal à mouvoir.