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Et c’était alors, durant trois ou quatre heures, une course folle, au travers des bois et des champs, sous l’âpre bise d’hiver ou sous la pluie cinglante.

À tout moment, Madeleine frissonnait aux imprudences inexplicables de son mari. Tel obstacle lui semblait l’écueil suprême où ils allaient définitivement se heurter. On passait cependant, et tel autre apparaissait à l’horizon.

Un tournant surtout, à trois kilomètres du château, l’épouvantait, non point tant par la brusquerie du coude que parce que Jacques l’effectuait toujours à l’allure la plus vertigineuse, et cela sans raison apparente. Il avait l’air de procéder à un exercice. Mais en vue de quoi ? Ah ! ce tournant, son aspect, les hauts talus qui le bordaient, le vieux chêne qui en annonçait l’approche, comme toutes ces choses hantaient ses cauchemars !

Jusqu’au dernier mois, jusqu’à la veille de la délivrance, son mari la contraignit à ces étranges et fantastiques promenades. Dans l’intérieur du château, leurs repas étant servis à part, ils se voyaient à peine. Plusieurs fois, elle tenta de lui parler. Il ne répondit point. Il gardait toujours un visage redoutable. Quand elle rencontrait ses yeux, leur cruauté la faisait frémir. Il avait un calme et une froideur de justicier, qui sait nettement ce qu’il à décidé, et qui sait que rien au monde ne l’empêchera d’agir selon sa décision.

Avec les jours l’effroi grandissait en Madeleine, une sorte d’angoisse torturante, de terreur superstitieuse.

Et l’époque arriva. Une nuit, par les soins d’un docteur inconnu, l’enfant naquit, un fils qui reçut le nom de Raoul. Une nourrice se présenta, paysanne grossière dont la figure antipathique et les façons obséquieuses désespérèrent Madeleine.