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— Là, là, regardez ! s’écria-t-elle, d’une voix étranglée par l’émotion… là… vous voyez autre chose ?

— Mais où ?

— Là… regardez… votre bicyclette.

Par un effort suprême, Lucien tira un de ses pistolets et marcha vers la chose, le bras tendu, prêt aux pires éventualités.

Il s’arrêta, stupéfait. À la clarté de la lune, il apercevait, entre la roue d’arrière de sa bicyclette et la chaîne, sortant de la jante, une énorme vessie, un vallon formidable et luisant, pareil aux ballons des enfants.

— An ! murmura-t-il, comprenant tout d’un coup d’où provenait la détonation, c’est la chambre à air… le pneumatique…

Il restait confondu devant ce désastre.

— Eh bien ! quoi, lui dit Suzanne, réparez-le.

— Mais je ne sais pas.

— Comment, vous ne savez pas ! s’écria-t-elle avec une sorte de dédain, Alors nous allons passer la nuit ici ?

— Que faire ?

— Mais papa va nous rattraper. C’est horrible.

Elle éclata en sanglots. Lui aussi pleurait. Et ils demeurèrent ainsi sans prendre de décision, n’osant même pas quitter la route et marcher, comme si le sort de leur entreprise avait été lié à l’usage qu’ils attendaient de leurs bicyclettes.

Les heures s’écoulèrent, lentes et funèbres. La nuit mystérieuse les effarait. Les bruits confus de l’espace leur semblaient autant de menaces. Ils frissonnaient d’anxiété au vol des oiseaux nocturnes et aux plaintes des chouettes.

Lucien avait tenté de se rapprocher de sa compagne, mais elle l’avait repoussé durement, pleine de mépris et de rancune pour ce ravisseur qu’arrêtait le premier obstacle. Elle dit cette seule parole :