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Mais, un jour, quelque chose siffla aux oreilles de Suzanne et roula dans sa chambre. C’était une pierre, Une lettre s’y trouvait attachée. Elle lut :

« Je ne peux plus vivre ainsi. Il faut que nos existences soient unies à jamais. Êtes-vous prête à me suivre ? »

Elle répondit par la même voie :

« Je suis prête à tout. »

Et il lui écrivit :

« Faîtes-vous donner une bicyclette. Dès que vous saurez y monter, entraînez-vous dans les allées du parc. Vous ne me verrez plus que le dimanche. Il faut que je travaille pour acheter, moi aussi, une bicyclette. »

Suzanne eut une machine de la meilleure marque. Très vite elle sut s’en servir. Scrupuleusement elle s’entraîna le long des allées.

Six dimanches passèrent. Chaque fois elle vit Lucien. Le septième elle lui écrivit :

« Qu’attendons-nous ? »

Il répondit :

« Je n’ai encore gagné que trente francs, il m’en faut soixante-dix en tout. Patientez. »

Suzanne admira fort cet amoureux qui trouvait à si bas prix un objet que son père avait payé pour elle plus de cinq fois autant. Le dimanche suivant, elle lui envoya, dans une enveloppe, trois louis d’or, toutes ses économies. Quinze jours après il écrivait :

« Tout est prêt. Mardi soir, à dix heures, je vous attendrai à la petite porte du potager, La clef est toujours à la serrure. Emportez sur votre bicyclette des vêtements de rechange, un bon manteau, du linge, des chaussures, enfin le nécessaire. Moi, je me charge des provisions pour plusieurs jours. »

Suzanne jugea très suffisant d’emporter ses bijoux — c’est-à-dire un collier de faux corail, une gourmette en cuivre doré et deux bagues en imitation de perles fines — une pochette de couture, des rubans de diverses couleurs et une boîte de bonbons.