Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/10

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

LE GLOBE-TROTTER

Séparateur

L’étang de la Forge, entre Rennes et Ploermel, au milieu de l’antique forêt de Brocéliande, est un des endroits les plus délicieux que je connaisse. J’étais assis là, au pied d’un sapin qui trempe dans l’eau glacée ses racines nerveuses, lorsque déboucha de la route un grand vieillard à barbe grise, couvert de haillons et porteur d’une lourde besace d’où émergeaient les ustensiles les plus divers. Il descendit sur la berge, d’un coup d’épaule jeta négligemment à terre son paquetage, se débarrassa des morceaux de toile et de laine qui lui servaient de veste et de culotte et, ainsi dévêtu, entra lentement dans l’étang.

Il en fit deux ou trois fois le tour à longues brasses rapides, revint à son point de départ et sortit. Je remarquai l’apparence extraordinairement vigoureuse de son corps aux muscles saillants et bien tendus. La marche était puissante à la fois et légère, et contribuait à lui donner un aspect vraiment surprenant de force et de souplesse.

S’étant rhabillé, il passa près de moi et me salua de la tête, mais la vue de ma bicyclette l’arrêta.

— Ah ! une bicyclette, dit-il ; c’est assez rare dans cette région.

Il la souleva, la fit tourner, puis, la reposant, me dit, non sans quelque dédain :

— C’est commode, mais il y a mieux.

L’agrément de sa voix m’étonna. Je lui demandai :

— Il y a mieux ?

— Cela, dit-il en frappant ses deux jambes.

— Cela, c’est autre chose, le plaisir n’est pas le même, les sensations diffèrent.

— Et celles de la bicyclette l’emportent, n’est-ce pas ?