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NOTE.

nous contenter d’une démonstration conçue par le même procédé qu’est conçue la suite elle-même des entiers.

En résumé, la construction d’un segment fini de la suite des entiers n’exige que l’emploi de ce qu’on peut appeler une récurrence finie, la démonstration d’une propriété pour tous les nombres de ce segment exige seulement un raisonnement par récurrence finie, réductible aux syllogismes ; la construction de la suite complète des entiers exige un procédé de récurrence indéfinie et la démonstration d’une propriété pour tous les entiers exige le raisonnement par récurrence indéfinie qu’on ne pourrait remplacer que par une suite indéfinie de syllogismes.

Dès lors, il est clair que, pour démontrer une proposition pour la suite des nombres transfinis, il faut utiliser un mode de raisonnement qui permette de suivre pas à pas le procédé de formation de cette suite. Ce raisonnement est appelé le raisonnement par récurrence transfinie ; il exige que l’on prouve : 1o  qu’une propriété est vraie pour le nombre un (ou pour le nombre , suivant qu’on envisage tous les nombres finis et transfinis ou seulement les nombres transfinis) ; 2o  que, si la propriété est vraie pour tous les nombres inférieurs à un nombre , elle est vraie pour le nombre .

Cette deuxième partie du raisonnement par récurrence est le plus souvent remplacée par deux démonstrations distinctes ; on ne prouve l’énoncé du no 2 précédent que pour de seconde espèce et, pour de première espèce, on montre que, si la propriété est vraie pour , elle est vraie pour .

Sous l’une ou l’autre forme, le raisonnement par récurrence transfinie conduirait à la vérification syllogistique de la proposition, pour un nombre quelconque, si l’on admettait que l’on peut répéter un raisonnement une suite bien ordonnée et dénombrable quelconque de fois.

Les liens entre ce mode de raisonnement et le raisonnement syllogistique sont donc encore étroits, mais nous sommes pourtant très loin du raisonnement ordinaire puisque, au moins pour de seconde espèce, la seconde partie de notre raisonnement est basée sur la connaissance d’une infinité actuelle de prémisses[1].

On peut, comme nous l’avons déjà fait, expliquer pourquoi nous regardons une propriété comme démontrée pour tous les nombres transfinis par le raisonnement par récurrence transfinie en disant : si la propriété n’était pas vraie pour tous les nombres transfinis, il existerait des nombres pour lesquels elle ne serait pas vraie, la suite de ces nombres comprendrait un élément plus petit que tous les autres ; la propriété serait vraie pour tous les nombres inférieurs à , fausse pour , ce qui serait contradictoire.

Mais on ne saurait considérer ceci comme une justification du raisonne-

  1. Cette infinité est dénombrable ; c’est pour ne pas avoir à considérer une infinité non dénombrable de prémisses que j’ai évité précédemment de parler de la suite non dénombrable des dérivés distincts ou non d’un ensemble donné.