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SUR LES NOMBRES TRANSFINIS.

démonstration par l’absurde, n’est donc elle-même légitimée ainsi, que par l’absurde et grâce à une infinité actuelle de syllogismes[1].

Nous n’avons donc pas légitimé le procédé de preuve par récurrence à l’aide d’un raisonnement syllogistique. Il est bien clair que toute légitimation de cette nature est impossible, car nous n’avons construit la suite des nombres entiers qu’en admettant que nous pouvions envisager la répétition de la même opération, savoir l’adjonction d’un élément, un nombre arbitrairement grand de fois ; nous ne pouvons espérer explorer le domaine ainsi construit qu’en considérant comme possible la répétition du même raisonnement un nombre arbitrairement grand de fois, c’est-à-dire précisément en raisonnant par récurrence.

Notre premier essai de légitimation du raisonnement par récurrence à l’aide de syllogismes donne donc un résultat aussi heureux qu’on pouvait l’espérer puisqu’il nous donne le moyen de vérifier , pour chaque nombre particulier, à l’aide d’un nombre fini de syllogismes[2] ; sans doute, si vite que l’on aille à débiter ces syllogismes, il y aura des nombres assez grands pour que nous ne puissions faire pour eux la démonstration effectivement ; mais il nous est facile de concevoir que, chaque fois qu’on aura réussi à nommer un nombre , c’est-à-dire chaque fois qu’on aura su réaliser l’adjonction fois de suite d’un élément pour former l’ensemble de objets considérés, on pourra trouver le moyen de répéter fois le raisonnement récurrent, comme il est nécessaire de le faire pour vérifier la propriété pour le nombre . Au reste, pour le mathématicien, ce n’est pas la démonstration qui crée la vérité d’une proposition, elle permet seulement de constater cette vérité. Nous pouvons donc ne pas avoir ici les mêmes exigences que nous avions lorsqu’il s’agissait d’une notation, et

  1. C’est à l’occasion des difficultés que présentent certains raisonnements par l’absurde qu’a été soulevée la question dite du « tiers exclu ». On verra à ce sujet les travaux de M. Brouwer et de M. Weyl. On me permettra peut-être de profiter de cette occasion pour rappeler que, bien avant que la question n’ait pris la forme philosophique actuelle, j’écrivais (Soc. math. de France, 1904) « … je n’attribue pas plus de valeur à la méthode par laquelle on démontre qu’un ensemble non fini contient un ensemble dénombrable. Bien que je doute fort qu’on nomme jamais un ensemble qui ne soit ni fini, ni infini, l’impossibilité d’un tel ensemble ne me paraît pas démontrée. »

    Je voulais dire par là que des définitions ayant été posées pour les deux mots fini et infini il n’était pas certain que non fini veuille dire infini. Cette observation n’est pas sans rapport avec certaines des idées de M. Brouwer ; mon but, en la faisant, était pourtant tout à fait l’opposé du sien. Je ne conteste nullement, pour ma part, la valeur de la logique traditionnelle et du mode de raisonnement par l’absurde ; je rappelle seulement qu’il faut les utiliser correctement.

    La façon méprisante dont M. Brouwer parle de l’École de Paris souligne très heureusement notre désaccord.

  2. La légitimation par l’absurde du procédé par récurrence est bien moins parfaite à cet égard, puisqu’elle exige une infinité actuelle de syllogismes.