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NOTE.

Ce mode de raisonnement est parfaitement convaincant[1] ; il est constamment utilisé par les mathématiciens, il ne saurait être question pour nous d’élever le moindre doute sur sa validité. Du fait, que nous allons rappeler, que le raisonnement par récurrence n’est pas réductible au raisonnement syllogistique, nous conclurons donc simplement que le raisonnement syllogistique n’est pas le seul qui puisse être utilisé en mathématique.

Supposons démontré : 1o  qu’une propriété est vraie pour le nombre un, 2o  que si la propriété est vraie d’un nombre, elle est vraie pour le suivant. Ceci étant, démontrons la propriété pour le nombre 3. Nous dirons :

La propriété est vraie pour un ; or la propriété est vraie pour un nombre lorsqu’elle est vraie pour le précédent, donc la propriété est vraie pour le nombre deux qui suit un.

La propriété est vraie pour deux ; or la propriété est vraie pour un nombre lorsqu’elle est vraie pour le précédent, donc la propriété est vraie pour le nombre trois qui suit deux.

Ainsi il nous a fallu, pour atteindre le nombre trois, répéter deux fois un raisonnement réductible, lui, aux syllogismes.

Pour obtenir la propriété pour tous les nombres, il nous faudrait faire une infinité de syllogismes. Il est vrai qu’on peut raisonner par l’absurde : si la propriété n’était pas vraie pour tous les nombres, on pourrait trouver un nombre pour lequel elle ne serait pas vérifiée ; alors, en descendant l’échelle des nombres depuis pour lequel n’a pas lieu jusqu’à un pour lequel a lieu, on rencontrerait deux nombres et tels que ait lieu pour et n’ait pas lieu pour , or ceci est contradictoire.

Mais, si l’on examine ce raisonnement, on voit que la recherche de se fera ainsi : si la propriété n’est pas vraie pour tous les nombres, ou elle est fausse pour un ou pour un nombre plus grand que un ; puis, si elle est vraie pour un, elle est fausse pour deux ou pour un nombre plus grand que deux, etc. La recherche de se fera par récurrence et grâce à une proposition dont l’exactitude n’est prouvée que par l’absurdité qu’il y aurait à admettre que l’on ait épuisé la suite des entiers sans rencontrer . L’affirmation de l’existence de , sur laquelle nous avons basé notre

    raient être de nature tout à fait différente de ceux que nous allons étudier :

    Considérons la fonction , dans l’expression de laquelle représente l’une quelconque des fonctions continues constamment croissantes qui varient de à quand varie de à . Raisonner sur l’ensemble des valeurs de au voisinage desquelles est infinie, c’est raisonner sur le nombre  ; mais il est clair qu’on n’utilise pas alors la notion générale d’ensemble bien ordonné.

  1. J’emploie à dessein le mot convaincre pour marquer qu’à mon avis les raisons de se déclarer satisfait par un raisonnement sont de nature psychologique, en mathématique comme ailleurs. La logique nous donne des raisons pour rejeter certains raisonnements, elle ne peut nous faire croire à un raisonnement.