Page:Lebesgue - Leçons sur l'intégration et la recherche des fonctions primitives, 1928.djvu/341

Cette page a été validée par deux contributeurs.
325
SUR LES NOMBRES TRANSFINIS.

ne donne jamais qu’un nombre fini de notations. Ce nombre pourra être grand ; cela dépendra du nombre des symboles, de leur choix plus ou moins heureux, de l’ingéniosité des lois de combinaisons prévues ; mais il sera toujours fini. Toute numération s’appliquant à un ensemble infini de nombres est, à certains égards, fictive.

Examinons, par exemple, la numération décimale appliquée aux nombres compris entre 0 et 1 ; elle a la prétention de nous permettre de noter tout nombre. Pour cela elle utilise une suite indéfinie de chiffres 0, , , , …. Mais une telle suite ne peut jamais être ni écrite, ni énoncée. Il y a quelques cas heureux dans lesquels nous pouvons énoncer la loi de succession des chiffres décimaux , , , … de et cette loi détermine  ; le plus souvent, tout ce que nous pouvons dire se réduit à ceci : la suite 0, , , , … est déterminée par le nombre . On voit à quel point la notation décimale des nombres de (0, 1) est illusoire en tant que notation.

Examinons encore la numération des entiers. Elle est hautement pratique et commode pour les usages usuels et constitue un progrès considérable sur les procédés de l’Arénaire, bien que ceux-ci soient déjà très puissants et d’ailleurs voisins de nos procédés actuels.

Mais, pas plus que les procédés de l’Arénaire, elle ne permet de noter tous les nombres, elle nous convainc seulement, comme l’Arénaire, que si grand que soit un nombre on réussira à établir des conventions assez ingénieuses pour qu’on arrive à noter ce nombre et les nombres plus petits.

La numération ne nous permettrait de noter tous les nombres que si nous pouvions répéter le même acte (écrire un chiffre, énoncer un chiffre) un nombre quelconque arbitrairement grand de fois : mais alors nous pourrions tracer autant de barres, ou prononcer autant de fois le son un, qu’il y a d’objets dans la collection finie à dénombrer. Nous n’avons donc résolu le problème de la notation des nombres qu’en nous plaçant dans une hypothèse où ce problème ne se pose en réalité plus[1].

Il est bien clair que, de même, la notation des nombres transfinis serait immédiate pour celui qui pourrait répéter le même acte une infinité bien ordonnée et dénombrable de fois de type d’ordre quelconque.

Malgré tout, nos habitudes sont telles que nous désirons un simulacre de notation ; fût-il simplement conçu, pratiquement irréalisable, c’est-à-dire entièrement illusoire. Avoir pu noter les premiers nombres transfinis , , …, , , …, , …, , … nous aide déjà.

Soit un nombre entre 0 et 1, écrivons-le dans le système décimal ; nous supposons ce développement indéfini, soit 0, , , , , …. Posons

  1. On se reportera avec intérêt à ce que dit M. Borel d’une conversation qu’il eut avec M. Baire (Leçons sur la théorie des fonctions, 2e édition, p. 178).