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L’INTÉGRATION DÉFINIE DES FONCTIONS SOMMABLES.

opérations il faut faire pour obtenir l’être que l’on veut définir. Ce sont les définitions constructives qui sont le plus souvent employées en Analyse ; cependant on se sert parfois de définitions descriptives[1] ; la définition de l’intégrale, d’après Riemann, est constructive, la définition des fonctions primitives est descriptive.

Lorsque l’on a énoncé une définition constructive, il faut démontrer que les opérations indiquées dans cette définition sont possibles ; une définition descriptive est aussi assujettie à certaines conditions : il faut que les conditions énoncées soient compatibles[2]. Le procédé jusqu’ici toujours employé pour démontrer que des conditions sont compatibles est le suivant : on choisit dans une classe d’êtres antérieurement définis des êtres jouissant de toutes les propriétés énoncées. Cette classe d’êtres est généralement la classe des nombres entiers[3] ; on admet que la définition descriptive de ces nombres ne contient pas de contradiction.

Il faut aussi étudier la nature de l’indétermination des êtres que l’on vient de définir. Supposons, par exemple, que l’on ait démontré l’impossibilité de l’existence de deux classes différentes d’êtres

  1. L’emploi de ces définitions descriptives est indispensable pour les premiers termes d’une science quand on veut construire cette science d’une façon purement logique et abstraite. Voir la Thèse de M. J. Drach (Annales de l’École Normale, 1898) et le Mémoire de M. Hilbert sur les fondements de la Géométrie (Annales de l’École Normale, 1900). La définition est dite alors axiomatique, parce qu’elle énumère les axiomes nécessaires. Elle se suffit ainsi à elle-même et forme un tout complet.

    Au contraire, les définitions descriptives posées au cours du développement d’une théorie, la définition de l’intégrale par exemple, ne prétendent pas énumérer tous les axiomes sur lesquels elles s’appuient ; elles ne forment pas un tout complet et ne sauraient être isolées de l’exposé du reste de la théorie.

  2. C’est-à-dire qu’aucune de leurs conséquences ne soit de la forme : A est non A. Il y a lieu aussi, comme je l’ai déjà dit, de rechercher si les conditions sont indépendantes.
  3. Voir le Mémoire déjà cité de M. Hilbert. C’est parce que l’on peut démontrer la compatibilité des conditions énoncées dans les définitions descriptives des premiers termes de la Géométrie à l’aide du système des nombres entiers qu’il est légitime de dire que la Géométrie peut être tout entière construite à partir de l’idée de nombre. Au point de vue de l’arithmétisation de la science, l’intérêt principal de la définition précise de l’intégrale, telle que l’a posée Cauchy, c’est qu’elle ramène les diverses notions de grandeur qui interviennent en géométrie (aire, volume, longueur des courbes, etc.) à celle de la longueur d’un segment, c’est-à-dire de différence de deux nombres. Cette définition de Cauchy parachève l’œuvre de Descartes qui, par l’emploi de coordonnées, ramenait toutes les géométries à celle de la droite.