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LA VIE CANADIENNE

Mais encore une fois fallait-il «pi’il possédât le talent ou plutôt l’art de fouiller. Car pour découvrir il faut savoir fouiller. Voyons, par exemple, ces prospecteurs qui sont à la recherche de filons d’or. Voici 1 un d eux qui, trop avide )>eut-être, se met à fouiller à l’a-Veulure. • . vogue la chance ! Aussi, cet homme fouilleru-l-il toute sa vie sans jamais trouver ce qu’il cherche. Pendant ce temps son compagnon y va avec métluxle, utilisant les connaissances géologiques qu’il possède, écartant l’avidité qui le ferait se hâter et troublerait ses facultés mentales au point de lui faire oublier qu’il a besoin de tout son jugement ; aussi arrivera-t-il que cet homme verra son travail couronner de succès, il finira par découvrir le vrai filon. Or, cet homme-là possède l’art de chercher. Il est peut-être bon de dire que Suite était le travailleur de tous les jours, de tous les instants du jour et, peut-être, de la nuit. Louis-II. Taché disait que Suite, dans les loisirs de ses fonctions à Ottawa, écrivait, au lieu de tuer le temps par la lecture d’un roman à la mode, ou de sommeiller grassement dans un fauteuil, ou encore de se mêler aux discussions et causeries de ses collègues. Oui, Suite écrivait : tantôt, selon l’inspiration du moment, c’étaient des vers, graves ou badins ; tantôt il relevait dans un article impromptu telle erreur historique, parue dans tel journal ou revue, ou tombée des lèvres de tel conférencier. Ou bien, encore, il poursuivait quelque ouvrage historique inachevé et interrompu par les devoirs de son poste. Et n’avait-il le temps d’écrire que dix lignes, il les écrivait, et son oeuvre littéraire et historique grandissait de jour en jour.

-Mon cher Suite, disait un jour Louis-H. Taché, je me demande s’il est possible que vous puissiez, tant chercher, tant écrire et tant produire. . . Vous me faites penser à ces géants de [’Antiquité qui faisaient le travail de vingt hommes.

Avant de répondre Suite laissait glisser sur ces lèvres ce sourire, candide qui lui était particulier.

—Voyons, mon cher Taché, faisait-il, vous scmblcz voir une montagne là où il n’y a qu’un simple caillou. Tenez, c’est un affaire d’habitude . .. vous n’avez, qu’à écrire quelques lignes tous les jours.

Voilà donc qu’à écrire ces « quelques lignes tous les jours » l’ineffable historien lègue à sou pays une oeuvre considérable, instructive et. utile autant qu’agréable.

M. Taché disait encore :

Pénétrez dans son bureau, vous le trouverez en train d écrire. Il vous salue, vous sourit, vous indique un siège, s informe de votre santé, sans cesser d’écrire. Vous lui parlez, il vous répond, et sa plume n’arrête point. Et il expliquera, pour s’excuser, que c’est un article pour tel journal qu’il désire expédier par la première poste. Cette oeuvre formidable de Suite, comme nous avons dit, il l’a construite, ainsi que le maçon, pierre à pierre.

Et Thomas Côté disait de lui :

—Suite ?... Mais je jvcn.se qu’il écrit en dormant. . .

Si l’on prête attention à ceux-là qui l’ont coudoyé journellement <à Ottawa, Suite écrivait en fiacre, en tramway, en chemin de fer. . . sur ses dernières années il a dû écrire en auto ? Sans doute, en ces circonstances ne prenait-il le [vins souvent que des notes, confiant aux jiages d’un carnet quelques idées qui lui venaient à l’improvistc, marquant quelques observations faites en chemin. Thomas Côté assurait que Suite, un jour, ayant à se rendre à Hull, prit un fiacre, et dans ce fiacre cahotant rédigea un assez long article qu i) avait jvromis à un journal de Montréal, et qu il voulait mettre à la poste ce jour-là. Il écrivit l’article avec un crayon sur les feuilles d’uu carnet. Et, accompagné d’un ami, il s’entretenait avec lui, jetait de temps à autre un regard distrait par la portière et le bruit et le mouvement ne paraissaient nullement l’incommoder ni le distraire. Et l’article, achevait Thomas Côté, en tant qu’article rédigé au galop — ce qui était le cas de le dire — était quasi parfait dans la forme comme dans la langue.

Enfin, Wilfrid Laurier a dit de Suite : —Il possède une capacité de travail qui m’étonne toujours.

Laurier, pourtant, n’était pas le moindre des travailleurs.

On peut donc admettre comme vérité que Benjamin Suite écrivait en n’importe quel lieu, en tout temps, à toute heure du jour et de la nuit, bien ou mal disposé, avec ou sans la flamme du « feu sacré », au sein des vacarmes ou dans la douceur du silence, et, ainsi que l’avait noté Thomas Côté, il aurait pu écrire en dormant.

Son talent, son érudition, sa force de tra-