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LA VIE CANADIENNE

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de notre reconnaissance. Et pour rendre à ses deux devanciers, Bibaud et Charlevoix, la justice qui leur revient, disons que ces trois historiens (de taille bien différente) ont ouvert une large voie à l’historien de l’avenir. En nous laissant aller dans le domaine des suppositions, nous pourrions nous demander si Benjamin Suite, de même que tous ceux-là qui par après ont abordé « l’écriture de notre Histoire » , aurait pris ce sentier en mettant, par exemple, que Garneau n’eût pas écrit son Histoire du Canada ?

Quoiqu’on pût admettre, auparavant, (pie nous étions une race, un peuple, né sans mélange, tirant son identité, des origines les plus pures, une nation, petite par le nombre, mais d’une valeur indiscutable, il importait que. l’histoire de. cette nation fût écrite sur parchemin. Si chaque individu commence, son histoire en naissant, à plus forte, raison un peuple la commence-t-il, et, là, il a le droit de l’écrire et le devoir de la transmettre aux postérités. Garneau avait pensé ainsi. Benjamin Suite le pensa également ; et l’un et l’autre, nés historiens, devaient buriner sur le granit les actes de notre vie nationale.

  • * *

On s’est demandé, et la question demeure posée, si l’Histoire est un art ou une science. Nous ne voulons pas entrer dans la discussion, mais il est certain que pour écrire l’histoire d’un peuple, ou simplement d’un individu, il faut le savoir, lequel doit s’adjoindre l’art de chercher, de fouiller, de découvrir la vérité. L’histoire peut donc être une science et un art à la fois. Possédant ces deux outils puissants, la science et l’art, Benjamin Suite a pu rétablir dans leur authenticité bien des événements et des faits de notre Histoire sur lesquels on ne possédait qu’un vague aperçu, lorsqu’on ne les ignorait pas tout à fait. Il a su tirer du néant ce qui demandait à paraître à la vie, des ténèbres ce qui réclamait la lumière ; et lorsque de sa plume vive et forte il nous dévoilait une vérité historique, ou lorsque, encore, il étalait sous nos yeux toute la généalogie d’une famille dont on n’avait jusqu’ici connu que le nom et encore ! ... on s’émerveillait.

Un jour, dans les commencements du siècle — je me le rappelle nettement — je m’étais trouvé dans une réunion de personv. o/vüc> /-le» 1» -flv,nvsno fin învrnjüJiéTVW* rï/* 1a politique. La finance et la politique pour un instant avaient été mises à l’écart, et l’on avait entamé un sujet de sciences, d’arts et de littérature. Il arriva qu’une personne, que je ne peux malheureusement pas me remettre, s’avisa de parler de Benjamin Suite, à cause d’un article de Suite lui-même récemment paru et traitant de nos origines. Et cette personne de s’écrier : - Mais où diable prend-il tout ça ? Je me souviens mieux du personnage qui fit la réponse : il s’appelait Arthur Dnnsereau, directeur de « La Presse », celui qu’on surnommait familièrement dans les cercles politiques « Le Boss ».

-Mon cher ami, répondit Danscreau avec ce sourire bonhomme qu’il trouvait toujours devant une vieille bouteille de cognac, ne le demandez pas... Mais je puis vous assurer une chose : Suite est un fouilleur. mais un vrai fouilleur... un fouilleur (jui va jusqu’au fond. Et notez bien que. s’il lui vient l’idée de déterrer une. vérité quelconque, il sera capable de soulever une montagne pour regarder dessous...

En plaisantant l’interlocuteur de Danserca u reprit :

—Mais alors c’est un fouilleur dangereux, ce Suite... Il faut s’en méfier... —Justement, repartit le Boss en amplifiant son sourire, car Suite pourrait fouiller jusqu’à la vingtième génération de votre famille. . .

—Mais il ne la connaît pas. . . —Oui, mais s’il lui prend la fantaisie de la connaître ?... Vous avez raison, mon ami, poursuivait Dansercau, il faut vous méfier : car Suite, s’avisant de mettre le nez dans votre famille, pourrait y découvrir des choses. .. ah ! mais des choses... bref, que vous êtes, par exemple, fils de haute et d’antique noblesse.

On partit de rire à la ronde. Mais sous une forme badine Dansercau disait la vérité et accordait à Benjamin Suite ce talent de chercheur que tous ses contemporains lui ont reconnu.

Oui, Suite était un fouilleur,

Louis-H. Taché, qui fut toujours lié d’amitié à Suite, ajoutait, le connaissant bien :

— « Un fouilleur foreené » .

Il est certain que Suite s’acharnait (c’est le sens qu’a voulu donner M. Taché à son terme « forcené » ) dans ses recherches et «es études... et. mieux, dans ses fouilles.