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LA VIE CANADIENNE

LITTERATURE ET LITTERATEURS

Numéro 19 (SUPPLEMENT AU “ROMAN CANADIEN”) Janvier 1931 BENJAMIN SULTE ET SON OEUVRE

CONSI DERATIONS GENERALES

Pour établir la réputation de Benjamin Suite comme historien, il n’est pas nécessaire de remonter aux grands et souvent fantastiques historiens de l’Antiquilé et d’en tirer des parallèles. Entre Hérodote et Tite-Livc il n’y a (pie l’épaisseur du rêve. Séduits par une tradition étincelante niais louche, ils l’ont amoureusement caressée sous la flamme de leur chandelle, et leurs paupières alourdies aux effets de cette sensualité se sont peu à peu abattues sur la prunelle de leurs yeux. De ce moment ils ne voyaient plus qu’à travers un mirage. Le fait, alors, se dévoilait, mais étriqué, mal tourné. Qu’importe ! on le remettait sur le tour, et de suite. l’Histoire s’ornait d’un feston nouveau. Des peuples plutôt petits apparaissaient sous un aspect impressionnant de grandeur ; d’autres, forts en puissance, élevés en gloire, passaient presque inaperçus. Si bien que les événements et les personnes des temps passés étaient regardés et étudiés par l’un ou l’autre, bout de la lunette, suivant l’humeur ou la fantaisie du moment. L’écriture de l’Histoire tournait au philosophisme, peu importe qu’elle fût vraie, douteuse ou fausse ; sa narration prenait la forme d’une épopée où la beauté devait l’emporter sur la vérité ; la cire savait s’amollir tendrement au souffle caressant de la légende tracée par le stylet. C’est pourquoi, aujourd’hui, au bout de tant de siècles agités ou paisibles, joyeux ou chagrins, brillants ou mornes, l’histoire de l’Antiquité demeure encore une slpendide nébuleuse. Si Hérodote fut le « père de l’Histoire » , on est enclin à convenir qu’il fut un père bâtard, de même que l’on convient, en notre époque moderne, que le « Père la Victoire » ne remporta sur l’Allemagne éperonnéc et revêche qu’une bâtarde victoire. Reste à l’écrivain d’histoire de demain d’établir la vérité définitive. Scra-t-cllc jamais établie, cette vérité ? Les faits se multiplient au jour le jour, confondus, emmêlés ; les événements se succèdent avec une rapidité qui sème le vertige ; les hommes passent avec non moins de vitesse, en sorte qu’il semble ne plus rester qu’un amas confus de. choses, d’êtres, de bruit de ce qu’était « hier a. Trompé par sa nature curieuse et avide, l’homme paraît ne voir et ne regarder que l’avenir, dédaignant le. passé, ne le trouvant pas assez, digne de son intérêt. Il marche, court, vole, ébloui par ce qui I< ; précède ; qu’importe ce qui vient après ou ce qu’il pourra laisser derrière lui ! Car le passe c’est l’ombre, tandis que l’avenir c’est la lumière. Et, semblable à la phalène, il se darde, se rue jusqu’.à brûler ses ailes. Qu’il xe retourne en chemin, aveuglé comme il est, et il ne verra plus qu’obscurité ! Et s’il s’avise de reconnaître ce qu’il a abandonné sur sa route, il se trouvera en face de choses et d’êtres si vagues ou si confus, que, pour les décrire, il lui faudra s’appuyer sur une mémoire trop faillible ou sur une imagination trop exaltée. Henri Martin, dans un élan d’cnthoiu-iasme oui n’était qu’un souffle épuisé de roussin fouetté jusqu’au sang, pouvait dire : ■ « Là, ce fut tout un peuple qui fut grand ! » Mais que ne revienne point de ses cendres l’historien du siècle dernier, car alors, reprenant une nouvelle tradition et nous regardant, il pourrait bien penser : « Là, c’est tout un peuple qui est peti t ! » En effet, on ne nous a jamais vus qu’en petit depuis la grandeur éblouissante de Louis XIV, et nous sommes demeurés ; (dans l’esprit de l’étranger) ce qu’on nous vus.