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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

— Personne, dit-il. Allons !

Ils sortirent tous deux. Le premier gagna à pas de loup la porte No. 321. Il frappa. Nul ne répondit. Il introduisit son passe-partout dans la serrure, la porte s’ouvrit et l’homme entra dans la chambre.

Deux minutes s’écoulèrent. Samuel Longford, l’œil bien ouvert et l’oreille bien tendue, se tenait près de la porte d’un cabinet de toilette tout près de là, comme s’il eût voulu faire penser à tout locataire ou employé qui pourrait survenir qu’il entrait ou sortait du cabinet.

Au bout de ces deux minutes le petit vieux à l’habit couleurs d’arc-en-ciel sortit de l’appartement No. 321, referma doucement la porte, fit à Longford un signe qui pouvait signifier : Veillez bien !… puis à l’aide toujours de son passe-partout, il pénétra dans la chambre de Pierre Lebon.

Suivons-le.

Une fois dans la place, l’inconnu s’arrêta, examina chaque chose d’un regard perçant et inquisiteur, puis se dirigea vers la salle de toilette.

Cette salle était déserte.

Les regards de l’homme se fixèrent sur la porte du garde-robe. Il tourna le bouton, mais la porte résista. Il tressaillit soudain et prêta l’oreille en penchant sa tête et en suspendant sa respiration. À cette minute, il pouvait saisir assez distinctement le souffle d’une personne qui dort bien tranquillement.

Un sourire crispa les lèvres blanches de l’inconnu. et il se mit à gratter dans la porte.

Peu après un grognement partit de l’autre côté de la porte. L’inconnu continua à gratter, tout en accentuant son sourire. Il put entendre, peu après, une voix basse et enrouée qui demandait :

— Qui est là ?

L’homme demanda en étouffant sa voix autant que possible :

— Est-ce vous, Kuppmein ?

— Oui… qui donc parle ?

— Rutten… répondit le personnage qui, en effet, sans le lorgnon à verres violets, ressemblait fort au capitaine Rutten. C’était bien la même physionomie froide et astucieuse à la fois.

— Rutten ! répéta la voix d’un accent joyeux. Dieu soit loué !… Venez-vous me délivrer, mon bon Rutten ?

— Oui, mon bon Kuppmein… Attendez un peu ! ajouta Rutten avec un sourire cruel.

Le capitaine de sa main gauche prit son passe partout tandis qu’il armait sa main droite d’un court poignard à lame étincelante et aiguë.

Il tourna lentement la clef dans la serrure, la retira, la remit dans sa poche, puis saisit le bouton…

À cet instant précis il entendit quelqu’un tousser dans le corridor. Des pas rapides et étouffés semblèrent passer devant la chambre.

— Êtes-vous là encore ? demanda la voix de Kuppmein.

— Chut !… souffla Rutten en collant ses lèvres au trou de la serrure.

Et attentif, l’expression farouche, ramassé sur lui-même comme pour bondir sur une proie quelconque, Rutten attendit. Si, à cette minute, Kuppmein eût pu voir la physionomie de cet homme armé d’un poignard, il aurait été saisi d’épouvante.

Deux minutes se passèrent dans un silence funèbre.

Puis, un claquement de porte retentit, et un second accès de toux parvint à l’ouïe du capitaine.

Il respira longuement et retrouva son sourire sarcastique et cruel. Il dissimula son poignard derrière lui, et tira doucement la porte du garde-robe. Il aperçut la face pâle et anxieuse de Kuppmein qui déjà tendait sa main ouverte dans un geste de gratitude. Mais cette main, il la retira aussitôt et recula vivement de deux ou trois pas en découvrant ce personnage à lorgnon violet qu’il ne reconnaissait pas.

Rutten fit entendre un ricanement. De sa main gauche il souleva le lorgnon, disant de son accent nasillard et narquois :

— C’est bien moi, mon cher monsieur Kuppmein… regardez !

Cette fois Kuppmein reconnut le capitaine. Un large sourire éclaira sa physionomie, et de nouveau il tendit sa main ouverte, tandis que ses lèvres s’apprêtaient à exprimer quelques paroles de joie et de reconnaissance…

Mais au même instant, Rutten ramena son bras droit en avant et, rapide comme la foudre, leva sa main et la rabattit violemment… la lame du poignard pénétrant tout entière dans le sein gauche de Kuppmein.

Celui-ci fit entendre un grognement indistinct, ses yeux regardèrent une seconde Rutten avec étonnement et épouvante à la fois, puis il battit l’air de ses deux bras et s’affaissa lourdement sur le plancher. Quelques convulsions l’agitèrent un instant, puis il demeura inerte.

— Et de UN ! murmura Rutten avec un rictus sauvage.

Il essuya son arme au veston de Kuppmein, considéra un moment sa victime avec un sourire de triomphe, sortit du garde-robe et referma la porte.

Il ne lui fallut qu’une minute pour traverser la chambre et sortir. Il vit Longford dans le corridor. Tout était tranquille et désert.

Les deux hommes échangèrent un regard d’intelligence… ils se comprirent, puis gagnèrent la chambre No 335.

— À présent, dit Rutten en essuyant la sueur qui tombait de son front, je vais me retirer. Quant à vous, suivez les instructions que je vous ai données, c’est-à-dire agissez comme si vous aviez des affaires en ville. Mais ici, dans l’hôtel, vous écouterez tout ce qu’on pourra dire d’intéressant. Vous me tiendrez au courant.

— Très bien, répondit Longford.

— Alors, bonne chance !

L’instant d’après le capitaine était hors de l’hôtel.


XVII

GRISERIE D’AMOUR


Le petit cadran enchâssé au clocheton de la bibliothèque de Miss Jane indique minuit.

Dans le salon nous trouvons Pierre Lebon et