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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

Mon nom, vous le savez, ajouta-t-il sur un ton glacial.

— Ainsi donc, s’écria Kuppmein dont la belle assurance de tout à l’heure s’émoussait rapidement, vous m’avez ni plus ni moins attiré dans un traquenard ?

— Non, monsieur. Car pour agir de la sorte il faudrait que je fusse la personne peu scrupuleuse que vous êtes.

Veillez sur vos paroles, menaça Kuppmein qui sentait l’effroi l’envahir devant l’attitude décidé du jeune homme.

— Monsieur Kuppmein, reprit Pierre froidement, voulez-vous me rendre les plans dont je vous ai parlé ?

— Je vous jure que j’ignore tout à fait cette histoire de plans.

— Ou bien, continua Pierre sans changer d’attitude ni de ton, voulez-vous me faire connaître la personne à qui vous les avez livrés ?

— Encore une fois…

— C’est oui ou non, interrompit Pierre rudement. Décidez-vous !

— Je crois que vous menacez ?… Prenez garde que j’appelle les gens de l’hôtel !

— C’est ce que je ne permettrai pas et voici ce qui vous en empêchera, monsieur Kuppmein.

Par un geste rapide le jeune homme tira son revolver et le braqua résolument sur Kuppmein.

L’Allemand chancela, devint livide de peur et recula instinctivement dans l’encoignure formée par la salle de toilette et le garde-robe. Et la porte de ce garde-robe étant ouverte, comme nous l’avons dit, elle masquait la porte de la salle à toilette, de sorte que Kuppmein ne pouvait aller plus loin. Ce fut donc contre cette porte que Kuppmein se trouve adossé avec, à sa gauche, le garde-robe tout prêt à le recevoir.

Pierre ajouta en ricanant :

— Allons ! monsieur Kuppmein, appelez donc les gens de l’hôtel pour voir !

— Vous n’allez pas m’assassiner ? balbutia l’Allemand fou de terreur.

— Dieu m’en garde !… vous appartenez à d’autres qu’à moi. Pour les espions et les voleurs il y a des juges et des exécuteurs. Vous ne m’appartenez que pour l’instant, voilà tout. Et puis, n’allez pas penser qu’en appelant à votre aide les gens de l’hôtel cela arrangerait vos affaires. Tout au contraire, vous empireriez votre situation, car alors je serais dans l’obligation de vous dénoncer comme espion, ce qui vous vaudrait beaucoup d’égards des autorités américaines ; et comme voleur, ce qui mettrait de suite les gens de l’hôtel de mon côté. Est-ce clair ?

Ce ne l’était que trop pour Kuppmein qui, cependant, gronda :

— Je suis ni espion ni voleur !

— Voilà bien le point que je veux éclaircir. Mais en attendant, vous allez demeurer mon prisonnier.

— C’est une séquestration ! rugit l’Allemand qui suait, haletait et de ses yeux désorbités cherchait une issue pour fuir.

— Nommez cela ce que vous voudrez, ça m’est égal, répondit froidement l’inventeur. Maintenant, vous voyez ce garde-robe ?… Eh bien ! c’est là que vous allez demeurer bien tranquille. bien silencieux, durant quelques jours. Je vous apporterai les aliments nécessaires, afin que vous ne perdiez rien de votre vénérable embonpoint. Est-ce compris ? Et puis, je vous le dis sincèrement, si vous vous décidez à me renseigner sur les plans que vous savez, je pourrai avoir des égards pour votre personne, c’est-à-dire que je vous permettrai d’aller vous faire pendre en un lieu de votre choix.

— Mais Monsieur Lebon… gémit Kuppmein d’une voix larmoyante.

— Tiens !… tiens !… interrompit Pierre en riant, vous avez donc appris mon nom sans que je vous le dise ?

Kuppmein rougit, pâlit, verdit et bredouilla :

— Il me vient tout à coup à la mémoire… Donc, monsieur Lebon, je vous jure que je ne sais rien de vos plans !…

Et il avait un si grand air de franchise, que Pierre faillit se laisser prendre. Mais ce ne fut qu’un sentiment très passager chez lui. Il répliqua rudement :

— C’est bon, je saurai si vous dites la vérité avant peu de jours. Mais d’ici là, voici votre logis… allez !

Kuppmein hésita.

— Monsieur, reprit sur un ton résolu le jeune homme en assujettissant son revolver, je vous tuerai sans une hésitation si, dans une demi-minute, vous ne vous êtes pas exécuté.

L’Allemand comprit que sa vie était en jeu, et comme il en coûte toujours de mourir même pour les plus désespérés de la vie, Kuppmein fit un pas vers le garde-robe. Il s’arrêta sur le seuil, et Pierre, qui l’observait attentivement crut saisir à l’expression de ses traits qu’il était tenté de faire un aveu. Mais cette hésitation de l’Allemand fut de courte durée. Il ébaucha un hochement de tête dédaigneux, darda sur Pierre un bon regard chargé d’éclairs, et, sans mot dire, pénétra dans le garde-robe.

Pierre sourit et marcha vivement vers la porte.

— À présent, prononça le jeune homme d’une voix ferme, vous savez ce qui vous est réservé si par des cris ou autrement vous attirez ici les gens de l’hôtel… que cet avertissement suffise ! Au revoir, monsieur Kuppmein !

Et brusquement Pierre ferma la porte du garde-robe dont il mit la clef dans sa poche.

Puis il murmura :

— Ce n’est pas tout… pas plus tard que demain il faut que je trouve ce capitaine Rutten !…

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Or, depuis quelques instants, l’hôtel était sens dessus dessous : on cherchait Kuppmein, et Kuppmein demeurait introuvable. Et à ce sujet, notre lecteur se rappelle ce que, en un chapitre précédent, un agent de police secrète racontait à Robert Dunton… « que Kuppmein avait mystérieusement disparu de l’hôtel ». Voilà donc pour nous un mystère éclairci !…