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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

— Venez donc, dit Pierre.

Le corridor était désert, et le jeune homme s’en réjouit en pensant qu’aucun témoin ne pourrait plus tard devenir pour lui un embarras.

La minute d’après, les deux hommes pénétraient dans la chambre de notre ami.

Pierre fit aussitôt jouer la serrure de la porte, retira la clef et la mit dans sa poche, à l’extrême surprise de Kuppmein qui avait surveillé ce manège sans pouvoir dire un mot ou faire un geste.

Pierre esquissa un sourire candide et dit :

— De cette façon nous pourrons causer sans crainte d’être dérangés.

Rassuré par ces paroles prononcées sur un ton tranquille, Kuppmein jeta autour de lui un regard inquisiteur et rapide, et ce regard s’arrêta une seconde sur les deux valises de Pierre déposées dans un angle. Mais il faut croire que ces valises ne lui offrirent aucune intérêt immédiat, car le regard de l’Allemand alla de suite scruter d’autres coins et d’autres objets, mais sans découvrir ce qu’il avait pensé trouver là, c’est-à-dire cet « objet précieux » mentionné par son hôte.

Mais déjà l’inventeur avait pris place sur un siège, et de la main indiquait un fauteuil, placé non loin du garde-robe dont la porte était demeurée ouverte :

— Daignez donc vous asseoir, cher Monsieur, car il se peut que nous en ayons un peu long à débattre.

Kuppmein obéit, mais non sans remarquer le sourire quelque peu moqueur du jeune homme, qui poursuivait :

— Mon cher monsieur Kuppmein, puisque vous ne me demandez pas qui je suis, j’en déduis et conclus que vous me connaissez ou me reconnaissez — selon l’expression que vous voudrez — et que, par conséquent, nous sommes à peu près de bonnes vieilles connaissances.

— Au fait, répondit Kuppmein qui reprenait son assurance, je me souviens de vous avoir vu quelque part.

— Où donc, s’il-vous-plait ?

— L’endroit m’échappe, mais…

— Vous ne vous rappelez pas mon nom non plus ?

— Ma foi, non,

— Il est si peu intéressant et tellement obscur, sourit le jeune homme avec ironie. Or, puisque vous vous rappelez m’avoir vu quelque part, ne serait-ce pas, par hasard, aux bureaux de James Conrad, à Montréal ?

— Tiens ! s’écria l’Allemand avec une feinte surprise, vous connaissez mon ami Conrad ?

— Très bien même.

— J’en suis ravi.

— C’est lui-même qui m’envoie à New York.

— Ah bah !… Et avec cette exclamation Kuppmein fronça les sourcils.

— C’est vrai, monsieur Kuppmein. Et voulez-vous savoir le but de mon voyage ?

— Mon Dieu… cela m’est pas mal indifférent, à moins qu’il n’y ait un intérêt pour moi.

— Parfaitement, ce voyage vous intéresse directement.

— Comment, je vous prie ?

— Je suis venu vous communiquer une nouvelle très importante.

— À moi ?… s’écria Kuppmein très étonné et curieux à la fois.

— Oui, monsieur Kuppmein, à vous même.

— Mais alors, quelle est cette nouvelle ?

— Celle-ci : il parait que vous avez acquis pour une certaine somme d’argent certains plans d’un Chasse-Torpille… plans qui portent ma signature.

Kuppmein se mit à rire.

— Or, poursuivit Pierre impassible, ces plans avaient été achetés de moi par James Conrad.

— Ah bon !

— Et savez-vous ce qui est arrivé ?

— Je me le demande.

— Ceci : que le soir même du jour où la transaction eut lieu entre Conrad et moi ces plans furent enlevés de son coffre-fort.

— Diable !… Avez-vous pu retracer le voleur ?

— Oui.

— Ah !… j’aime mieux cela pour mon ami Conrad.

— Mais… vous ne me demandez pas qui est ce voleur ?

— Dites donc.

— Nous ne savons pas son nom, monsieur Kuppmein, et voilà pourquoi je suis venu vous voir à New York.

— Quoi… s’écria Kuppmein avec une feinte indignation, auriez-vous la prétention de me croire affilié à une bande de voleur ?

— Pas du tout, sourit ironiquement Pierre. Seulement, il est établi que vous avez acheté ces plans du voleur lui-même !

L’allemand sursauta et pâlit.

Pierre sourit davantage.

Kuppmein comprit qu’il venait de se trahir. Aussi, voulant donner le change au jeune homme, se prit-il à rire nerveusement.

— Décidément, cher monsieur, dit-il, je me demande, — et ceci vous explique ma surprise, — oui, je me demande si Conrad a perdu la raison, ou bien…

— Ou si je suis moi-même insensé, monsieur Kuppmein ?…

L’Allemand esquissa un geste de protestation.

— Eh bien, monsieur Kuppmein, continua Pierre Lebon, je peux vous assurer que Conrad a conservé toute sa raison, que les plans acquis de moi lui ont été volés, et que, à l’heure où je vous parle ainsi, c’est vous-même qui avez ces plans en votre possession !

Kuppmein fit un geste hautain et dit :

— Encore une fois, monsieur, oseriez-vous prétendre…

— Je ne prétends pas, interrompit froidement le jeune homme. Je dis et je répète que vous détenez illégalement des plans qui ne sont pas votre propriété, les auriez-vous payés une fortune !

Kuppmein se leva brusquement et demanda avec une méprisante froideur :

— Monsieur, voulez-vous me dire à qui j’ai l’honneur de parler ?

— Pas de feintes ni de comédies inutiles ! répliqua Pierre Lebon en se levant à son tour.