Page:Lebel - Les amours de W Benjamin, 1931.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
LES AMOURS DE W. BENJAMIN

— Kuppmein dans cet hôtel !… murmura le jeune homme, le front déjà barré d’un pli dur. Numéro 321 !… Et moi j’occupe le numéro 320 !… Mais alors nous sommes voisins ! Quelle coïncidence ! Décidément, ma tâche va se trouver simplifiée. Voyons !… Il est peut-être là-haut à ce moment ! Si j’allais m’en assurer !…

Sans perdre une minute il gagna l’ascenseur.

L’instant d’après, il était au troisième étage et enfilait le couloir sur lequel son appartement était situé.

Il marcha droit au No 321 et frappa résolument à la porte.

Personne ne répondit. Rien ne parut bouger à l’intérieur.

Vis-à-vis cette porte était celle de Pierre portant le No 320. Le jeune homme allait rentrer chez lui, lorsqu’une camériste, accorte et jolie, passa près de là. Reconnaissant Pierre comme l’un des nouveaux hôtes de l’hôtel, elle s’arrêta et demanda, complaisante :

— Vous désirez voir Monsieur Kuppmein ?

— Oui, mademoiselle.

— C’est regrettable pour vous, il n’y est pas.

— Il n’est pas absent de la ville, au moins ?

— Pas que je sache.

— Vous ne savez pas non plus s’il rentrera bientôt ?

— Ma foi, non. Cependant, je peux vous dire qu’il soupe à l’hôtel généralement tous les soirs.

— Soit, je le verrai ce soir. Merci, mademoiselle.

Au sourire reconnaissant du jeune homme la jolie camériste répondit par un sourire charmant et s’éloigna.

Pierre pénétra chez lui, mais en ayant soin de laisser sa porte légèrement entre-baillée. Puis il se dit, tout à fait revenu à lui-même qu’il était maintenant :

— S’il y a le moindre moyen, ce Kuppmein ne m’échappera pas !

Il prit un journal, alluma une cigarette et se jeta dans un fauteuil qu’il avait disposé de façon à pouvoir surveiller les passants dans le corridor et la porte de Kuppmein.

Pierre attendit longtemps. À diverses reprises il consulta sa montre. Enfin, comme il passait trois heures, il perçut dans le corridor le bruit d’un pas pesant assourdi par un épais tapis. Puis, par l’entre-bâillement de sa porte il vit une silhouette d’homme, s’arrêter une seconde devant la porte No 321, puis disparaître.

Pierre n’avait vu l’homme que l’espace d’une seconde. Mais il avait remarqué que c’était un homme corpulent. Il n’avait pas eu le temps de voir ses traits. Mais puisque cet homme était entré là chez lui, il fallait que ce fût Kuppmein. Oui ce devrait être Kuppmein.

— Voici mon homme, se dit Pierre en se levant. Il n’y a rien comme de saisir l’occasion au passage. Voyons d’abord si je suis installé pour loger un ami. Car, suivant les instructions d’Henriette, s’il arrive que ce Kuppmein ne me donne pas satisfaction au sujet de mes plans du Chasse-Torpille, je devrai m’assurer de sa personne.

Il fit aussitôt un examen rapide de son appartement qui ne comprenait qu’une chambre à coucher avec salle de toilette attenante. Dans un angle la porte de la salle de toilette faisait équerre avec la porte d’un garde-robe spacieux, et face à ce garde-robe se trouvait une fenêtre dont la clarté pouvait, dans le jour, éclairer l’intérieur du garde-robe. Pour la nuit, une ampoule électrique y était aménagée.

Pierre vit tout cela dans un coup d’œil et il murmura avec un sourire satisfait :

— Voilà un appartement magnifique.

Il examina l’intérieur du garde-robe, ajoutant :

— Cette ampoule électrique est de trop, car la lumière — la lumière artificielle surtout — fait mal au hibou, et vu que Kuppmein est un hibou…

Il compléta sa pensée par un autre sourire. Puis il dévissa l’ampoule et alla la déposer dans le tiroir d’un chiffonnier.

— Enfin, acheva-t-il, j’ai dans cette valise un objet qui peut m’être d’une grande utilité en cas de résistance du loup.

Et, ayant ouvert la valise en question, le jeune homme en retira un revolver en acier bruni qu’il enfouit dans l’une de ses poches.

Ainsi prêt à faire face à toute éventualité, il se dirigea résolument vers la porte No 321. Il frappa deux coups légers.

— Entrez ! dit une voix de l’intérieur.

Pierre poussa la porte et se trouva face à face avec Kuppmein qui, après avoir déposé son chapeau et sa canne sur un sofa, était en train de retirer ses gants.

— Pardonnez-moi de vous déranger, monsieur Kuppmein, dit Pierre en entrant, je n’ai qu’une petite prière à vous adresser.

Kuppmein garda le silence. Mais les traits de sa physionomie exprimèrent nettement sa stupéfaction et son inquiétude… il avait reconnu tout de suite Pierre Lebon.

Puis il fit un pas de recul, comme sous l’action d’une peur instinctive, et d’un geste fébrile il acheva de retirer ses gants qu’il lança sur une table.

Mais déjà Pierre ajoutait avec un sourire tranquille :

— Voulez-vous me faire l’honneur d’un entretien dans mon appartement ?

— Pourquoi pas ici ? demanda Kuppmein avec une mine défiante.

— Parce que j’ai là, dans ma chambre, un objet fort précieux que je désire vous montrer.

Ces paroles dites avec un air candide produisirent un changement subit sur la physionomie et dans l’esprit de Kuppmein. Son cœur bondit de joie à cette pensée :

— Il a le modèle !… Comment ?… Pourquoi ?… Qu’est devenu Parsons ?… Que s’est-il passé à Montréal depuis mon départ ?… Toutes ces questions affluèrent dans la même minute à son esprit tourmenté.

— Mais alors… ajouta-t-il…

Il n’acheva pas sa pensée, comme s’il avait eu peur que l’autre la devinât. Mais il venait de se comprendre. Le modèle était là, à portée de sa main !… Cela lui suffisait. Aussi s’empressa-t-il de répondre à Pierre :

— Comment donc, cher monsieur ! Je ne vous ferai pas l’injure de vous refuser… je vous suis !