Page:Lebel - Les amours de W Benjamin, 1931.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.
31
LES AMOURS DE W. BENJAMIN

Le colonel vient d’arriver, et il semble fort soucieux. Il va sans dire que la conversation est tombée sur Pierre Lebon.

— La police a-t-elle découvert une piste ? avait demandé James Conrad.

— Pas la moindre ! répondit le colonel d’un ton rude.

— Fait-elle des recherches, au moins ?

— Dieu sait ! Toutefois, ses agents semblent avoir la certitude que Lebon est toujours dans la Métropole. Mais où, dans quel quartier, sur quelle rue, dans quel logis ?… Je veux être étranglé s’ils l’apprennent jamais !

— À propos de ce Kuppmein et de cette Miss Jane dont tu m’as parlé, en as-tu informé la police ?

— Oui. Seulement… Miss Jane, Kuppmein et tout le reste demeurent comme Lebon, introuvables.

— Cette Miss Jane n’habite donc plus rue Metcalf ?

— Elle en est partie depuis huit jours.

La vibration d’un timbre interrompit ce colloque.

— J’y vais, dit Ethel qui exécutait en sourdine quelques extraits d’opéra à son piano.

Elle se précipita vers la porte du vestibule.

Oui, c’était bien celui qu’elle attendait avec tant d’impatience… William Benjamin. Oui, le joli et l’élégant William Benjamin !

Le colonel frémit violemment.

L’ingénieur et sa femme souhaitèrent cordialement la bienvenue au pseudo-banquier qui, toujours impeccable dans ses manières comme dans sa mise, avait pour tous, et même pour le colonel, un sourire charmant.

Après les banalités d’usage, il dit en regardant l’ingénieur :

— Mon cher Monsieur, je viens vous instruire d’une nouvelle bonne pour vous, mais fort désagréable pour moi.

— Mon Dieu ! s’écria Ethel en pâlissant, que vous arrive-t-il donc ?

— Ceci simplement, sourit Benjamin ; je suis forcé de quitter Montréal.

Ethel chancela.

— Diable ! s’écria Conrad, la nouvelle est aussi désagréable pour nous tous qu’elle peut l’être pour vous-même !

— Merci pour ces bonnes paroles.

— Vous retournez à Chicago ? s’enquit Ethel, très émue.

— Pas directement. Je fais crochet par New York.

— Ah ! vous allez à New York ? fit le colonel dont la voix trembla légèrement.

— Oui, monsieur le colonel. Une affaire importante que j’avais un peu oubliée m’appelle par téléphone.

— Que c’est vexant ! murmura Ethel avec un air tout chagrin.

— Vous m’en voyez tout peiné, mademoiselle, car je m’étais habitué à votre très agréable compagnie, comme à celle de madame et de ces messieurs. Mais heureusement, la distance entre Chicago et votre superbe Métropole n’est pas si énorme qu’elle ne puisse pas par ci par là être franchie. Et si ma personne n’est pas tout à fait désagréable…

— Comment donc ! s’écria l’ingénieur…

— Eh bien ! poursuivit Benjamin, je prendrai peut-être la liberté de revenir un de ces jours vous demander une courte hospitalité.

— Vous nous ferez vraiment plaisir, répliqua Conrad. Et je vous prie de demeurer assuré que, à quelque jour ou heure que ce soit, vous serez le bienvenu !

— Merci. De mon côté, je vous affirme que j’emporte de cette maison et de ses hôtes le meilleur souvenir.

Et en même temps que ces paroles, Benjamin glissait un regard brûlant vers Ethel qui rougit de plaisir.

— Ainsi donc, reprit Conrad, vous ne nous direz pas adieu ?

— Non, monsieur. Je vous dis au revoir, car je ferai l’impossible pour que bientôt, ajouta-t-il avec un sourire ambigu, nous puissions nous retrouver.

Et déjà le jeune homme s’inclinait pour se retirer, lorsque la jeune fille intervint avec timidité et inquiétude :

— Mais vous ne nous laissez pas sitôt ?

— Hélas ! mademoiselle, il le faut. J’ai plusieurs petites affaires à voir ce soir même.

— Vous partez donc demain ?

Demain matin. Et comme je ne voulais pas quitter Montréal sans venir vous dire bonjour, ajouta-t-il en regardant les autres personnages, j’ai cru devoir vous faire cette courte visite.

Sur ce il y eut poignées de mains et révérences de part et d’autre, puis Ethel alla reconduire le magnifique Benjamin.

Mais pendant un assez long temps on aurait pu saisir un long échange de murmures dans le vestibule, et nul doute que Benjamin et Ethel se faisaient leurs douces et mystérieuses confidences. Mais comme il serait indiscret d’y prêter l’oreille, nous resterons avec les trois autres personnages du salon, où le colonel venait de dire à l’ingénieur :

— Mon oncle, voulez-vous que nous causions quelques minutes ?

— Est-ce bien particulier ?

— Tout à fait.

— Montons en haut.

— Vous nous excuserez, chère tante ? dit le colonel à Mme Conrad qui déjà déployait un journal du soir.

— Certainement, allez !

Les deux hommes montèrent à l’étage supérieur.

Ethel et Benjamin causaient toujours, assis sur une banquette, près de la porte du vestibule.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L’ingénieur et le colonel étaient montés à ce cabinet en lequel nous avons déjà introduit le lecteur lors de la scène qui s’était passée entre Conrad et l’avocat Montjoie.

— Eh bien ! qu’as-tu à me communiquer, Philip ? interrogea Conrad après avoir pris un siège.

Le colonel ne répondit pas de suite. Il alla fermer la porte soigneusement, tira une lourde tenture et prêta l’oreille aux bruits d’en bas. Et satisfait, sans doute, et sûr qu’il était que ses paroles ne pourraient descendre jusque-là, il