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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

seigne qu’au bout de vingt minutes il heurtait le boisage de la cave. Puis ce boisage, à demi pourri, creva du premier coup de bêche. L’instant d’après, nos deux amis se trouvaient dans la cave.

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Pendant ce temps la partie de Poker s’était continuée, et les intéressés, à demi-ivres, paraissaient avoir oublié totalement leurs prisonniers. Et puis la discussion s’était élevé. On prétendait qu’il y avait tricherie, et le tricheur ne pouvait être que le caporal devant lequel s’entassait une jolie liasse de billets de banque.

Disons ici, pour mieux faire comprendre la scène qui va suivre, que les six militaires se trouvaient attablés non loin du porche de la maison, porche qui, à l’étage supérieur, formait terrasse avec une porte qui y accédait. Mais portes, persiennes, tout était clos hermétiquement.

Voici donc ce qui se passa :

Juste au moment où l’animation des joueurs au Poker atteignait son apogée, un homme parut sur la terrasse, un homme qui marchait sur la pointe des pieds et avec d’infinies précautions. Et cet homme était Alpaca. Il tenait, sous son bras un objet assez singulier, pour la circonstance, car cet objet ressemblait fort, sauf votre respect, à un vase de nuit.

Alpaca s’approcha très lentement de la balustrade. Il se pencha un peu. Là, en bas et sous ses yeux, les militaires se disputaient. Il prit très précieusement le vase entre ses mains, l’éleva avec précautions au-dessus de sa tête, le balança une seconde, puis le lança dans l’espace et dans la direction des soldats. Et sans attendre de voir si l’objet allait ou non atteindre son objectif, d’un bond Alpaca retraita dans la maison par la porte que Tonnerre de l’intérieur referma vivement et sans bruit.

Mais Alpaca avait l’œil juste et sûr, sans compter, disons-le à son éloge, qu’il était doué d’une merveilleuse adresse : car le vase de nuit, tout plein d’un certain contenu (sauf votre respect encore) partit de ses mains, fendit l’espace, et vint tomber comme la foudre au beau milieu de la table avec un fracas terrible, et en projetant son contenu sur les faces terrorisées des militaires.

Il y eut brouhaha, puis un pêle-mêle indescriptible. Puis les jurons éclatèrent comme des grenades, les regards, par instinct, s’élevèrent vers la cime des arbres, puis de là, par ricochet, vers la terrasse déserte, puis vers le toit de la maison solitaire, Mais aucun être quelconque n’était visible !

Quoi ! ce vase de nuit était-il tombé de la lune ?…

Mais le caporal, qui était peut-être moins bête que les autres, eut une idée soudaine. Il jeta un vigoureux « goddam » et cria à ses hommes :

— Suivez-moi !

Il s’élança vers la fosse.

Or, la fosse était vide… Mais le trou de l’excavation pratiquée par Tonnerre attira de suite l’attention, et ces hommes, joliment dégrisés à cette minute, regardèrent la maison. Ils comprirent…

— En avant ! hurla le caporal.

Il y eut une volée de jurons formidables, et les six hommes se précipitèrent dans ta fosse pour s’engager un à un ensuite dans le tunnel.

À ce moment précis, une auto s’arrêtait devant la grille du parterre. C’était le colonel qui revenait pour assister à « l’exécution », comme il l’avait promis.

Mais en voyant cette ruée folle des soldats vers la fosse, il fut saisi par un terrible pressentiment.

Il voulut rattraper les soldats. Il courut à la fosse et s’y laissa tomber au moment où le sixième des militaires fourrait sa tête dans le tunnel pour rejoindre ses compagnons.

À cette minute, Alpaca et Tonnerre apparaissaient sur la terrasse. D’un coup d’œil ils constatèrent que la cour était déserte. Avec une agilité de singes ils enjambèrent la balustrade, se penchèrent jusqu’à perdre l’équilibre, saisirent chacun un des piliers de la terrasse et se laissèrent glisser en bas.

— À l’auto ! commanda Alpaca.

Le caporal et ses acolytes paraissaient à cette minute sur la terrasse. De nouveaux jurons éclatèrent. Cinq ou six coups de feu suivirent, mais les balles se perdirent dans les arbres.

Tonnerre s’arrêta net près de la table. Une idée venait de traverser son cerveau. Il voyait à ses pieds le vase de nuit qu’avait lancé Alpaca. Il voulut faire une nouvelle bravade. Il saisit rapidement le vase, se tourna vers la terrasse, raidit les jambes, tendit les bras, et aux soldats abasourdis il lança de toute sa force ce projectile. criant en même temps de sa voix perçante :

— Tenez ! buvez-en… il en reste encore !

Puis, en quelques bonds il rejoignit Alpaca qui venait d’atteindre l’auto, et la minute d’après on ne vit plus sur la route qu’un nuage de poussière.

Mais ce n’était pas tout…

Tandis que les militaires, sur la terrasse, juraient et déchargeaient au hasard leurs revolvers, et juste à la minute où Tonnerre leur jetait le vase de nuit qui traversa l’espace comme une balle, le colonel apparaissait, tout essoufflé, dans l’encadrement de la porte.

Devant le projectile, les soldats, qui en avaient déjà fait la connaissance, s’écartèrent vivement et prudemment, mais il n’en fut pas de même pour le colonel… et en pleine poitrine il reçut « Les respectueux hommages de Maître Tonnerre » !


X

LES ADIEUX DE WILLIAM BENJAMIN


Avant de passer à d’autres personnages de ce récit et ne voulant pas ennuyer notre lecteur par un surcroît de détails, nous dirons seulement que le colonel Conrad ne manqua pas de « goddam » de « confound » et de « blooming »… en voyant lui échapper ceux qu’il avait cru si bien