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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

nerre arrêta sa besogne et dit d’un air fort mélancolique :

— Savez-vous ce que je me demande depuis une heure, Maître Alpaca ?

— Quoi donc ? Maître Tonnerre.

— Je me demande quel rapport peut bien exister entre la valise, le colonel et les six particuliers qui s’abreuvent là sous notre nez.

— Ce rapport est tout simplet. Mais vous ne comprenez pas non plus pourquoi nous en sommes sitôt à l’article de la mort ?

— Je confesse que cet article demeure incompréhensible pour moi.

— Eh bien ! je vais encore vous étonner de ma clairvoyance et de ma compréhension, Maître Tonnerre.

— Allez donc, je me formerai sur vous !

— Voici : ce charmant colonel que, ma foi, je donnerais bien au pourceaux…

— Moi, je me contenterais de l’étriper simplement, gronda Tonnerre.

— Donc, ce colonel plein d’esprit et de génie se trouve être le neveu de l’ingénieur Conrad. Or, l’ingénieur ayant soupçonné Mademoiselle Henriette et Monsieur Pierre du vol des plans et modèle du Chasse-Torpille, et le colonel ayant de quelque façon ou par quelque hasard découvert que nous avions des accointances avec les soi-disant voleurs, il s’en suit qu’on nous a espionnés ou fait espionner dans le but fort louable de découvrir la retraite de Mademoiselle Henriette ou de Monsieur Pierre ou même des deux à la fois. Comprenez-vous ?

— Je commence… Poursuivez !

— Tout est là dans cet espionnage : le colonel tient des espions à nos trousses — ceux-là mêmes qui sont en train de boire à notre chère santé — et il arrive que ces espions nous filent, comme ils l’ont fait hier soir, sur la rue Dorchester. Or ces espions avaient ordre de nous sauter dessus à la prochaine opportunité. C’est ce qu’ils firent. Mais il arrive aussi qu’ils ont vent, à cause de cet imbécile de Grossmann, de certaine valise dont vous êtes porteur. Naturellement ils font part au colonel de ce détail, et vu que le colonel a des doutes sur la valise et mieux sur son contenu, il veut à tout prix savoir où nous avons mis ladite valise. Et voilà, maître Tonnerre !

— Oui, voilà ! Seulement, toute cette histoire ne me parait pas aussi claire qu’à vous. Il y a encore quelque chose d’embrouillé.

— Soit. Mais vous ne nierez pas que cette fosse est parfaitement claire ?

— Ah ! voilà bien où nous tombons d’accord. Belle fosse, en vérité ! Et bien ! Maître Alpaca, supposons que tout est clair et bien éclairé, alors, je vous le demande, qu’en déduisez-vous ?

— Une seule chose, Maître Tonnerre.

— Laquelle donc ?

— Ma déduction se résume en ce mot admirable d’Archimède : EUREKA !

— Et qu’avez-vous trouvé ?

— Le moyen tout simple d’échapper à ces soûlards !

— Par quelle porte, alors ?

— Par celle-ci ! répondit Alpaca en frappant de sa bêche la paroi de la fosse.

— Je ne vous comprends pas.

— Écoutez, vous allez voir. D’abord, j’ai calculé que notre fosse est exactement à trois pieds de distance de la maison.

— Ensuite ?

— Ensuite, par déductions, toujours, je me suis dit qu’une fois la profondeur de six pieds atteinte, nous devions nous trouver à peu près au niveau du sol de la cave.

— Ceci me parait fort bien calculé. Néanmoins, je ne vois pas bien ce que vient faire la cave dans votre déduction.

— Écoutez encore. Donc, puisque nous sommes de niveau avec le sol de la cave, en perforant, par exemple, un tunnel vers la maison, ce qui peut donner une épaisseur de quatre pieds environ, nous pourrons de la sorte gagner la cave, et de la cave la maison où il nous sera possible de combiner une évasion.

— Merveilleux ! s’écria Tonnerre ravi. Cher Maître de mon cœur, ajouta-t-il avec attendrissement, vous étiez né pour de grandes choses ! Vraiment vous êtes un homme supérieur ! Seulement, quant à votre tunnel… Et Tonnerre demeura silencieux et pensif en se grattant le front.

— Quant à mon tunnel… eh bien ?

— C’est-à-dire, non… pas votre tunnel… Je veux parler du mur des fondations qui me parait construit d’un ciment solide !

— J’ai pensé à cela. Maître Tonnerre. Étant plus observateur que vous, j’ai remarqué, ce matin, que les fondations n’ont pas la profondeur de la cave. Ce ciment que vous voyez n’a que quatre pieds d’épaisseur au plus, dont deux pieds au-dessus du sol et deux pieds en-dessous. De sorte que la cave étant creusée à six pieds de profondeur, il reste entre le sol de la cave et la base des fondations quatre pieds de terre. Et cette terre, à l’intérieur de la cave, est maintenue par un simple boisage.

— Ah ! ah !

— Vous voyez donc que l’exécution de ce petit travail est tout simplet.

— Très bien. Mais je ne vois pas encore comment nous sortirons de la maison, si nous y arrivons.

— Quant à ce détail, il faudra aviser. Toutefois, j’ai une idée.

— En ce cas, cher Maître, je me fie à votre idée comme à votre déduction. À l’œuvre donc !

— Minute, Maître Tonnerre !

— Quoi encore ?

— Ceci simplement : que vous allez creuser le tunnel pendant que j’aurai l’œil sur l’ennemi, car il est important que nous ne soyons pas pris en délit d’évasion. Si donc, on avait la curiosité de venir inspecter notre travail, je vous donnerai l’éveil, et vous vous arrangerez de façon à masquer le trou du tunnel.

— Bon !

— Ensuite, faites ce passage d’un diamètre aussi restreint que possible, mais suffisant pour que vous puissiez travailler sans trop d’inconvénients. Vous comprenez ?

— Parfaitement.

— Allez donc. Je rejetterai au dehors la matière qui proviendra de votre perforation.

Et avec une bonne gaieté de cœur Tonnerre se mit à l’œuvre. Il ne flâna pas, à telle en-