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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

dans le soupirail et je la pousse dans la cave. Juste au moment, où les aigrefins de là-haut se jetaient sur nous.

— En sorte que pour cette nuit la valise occupe un logis à peu près semblable au nôtre ?

— Vous l’avez deviné !

— Supposez, maintenant, Maître Tonnerre, que votre benêt de proprio découvre la valise dans sa cave…

— Voilà bien pourquoi, Maître Alpaca, je vous faisais observer que nous ne pouvons moisir ici.

— C’est vrai, votre raisonnement est fort judicieux… Cherchons donc une issue ! Vous avez des allumettes ?

— Oui, je vais en profiter pour fumer une pipe. D’ailleurs, il n’y a rien comme de fumer un peu pour vous donner des idées.

Et, Tonnerre, ayant bourré sa pipe, frotta une allumette. Mais avant de tirer sa première bouffée il voulut retarder autour de lui.

— Si au moins, remarqua-t-il, on avait oublié en cette cave quelque flacon enduit de vénérable poussière et rempli de certaine liqueur telle que je me rappelle en avoir dégustée au cours de mon existence !

Alpaca aussi avait promené un rapide coup d’œil autour de la cave.

— Rien ici, fit-il, sauf nos deux personnes et cette méchante caisse qui me sert de siège.

— Rien !… répéta Tonnerre avec un soupir de regret et en portant à sa pipe l’allumette à demi consumée.

Mais il s’arrêta en entendant heurter rudement la vitre du soupirail. En même temps une voix rogue disait du dehors :

— Holà ! toi, le vieux !… Éteins ton luminaire, ou je tire dessus !

Nos deux compères levèrent les yeux et virent derrière le soupirail étinceler le canon d’un revolver.

— J’éteins… j’éteins, capitaine ! cria Tonnerre qui souffla vivement son allumette.

Mais il grommela aussitôt :

— L’animal ! s’il m’avait laissé le temps d’allumer ma pipe !

— Il n’a pas l’air de badiner non plus ! fit remarquer Alpaca.

— Sale anglo ! grogna Tonnerre. Si jamais celui-là me tombe sous la patte, je lui apprendrai, moi, à fermer sa musique !

Il demanda quelque peu narquois :

— Qu’allons-nous faire, Maître Alpaca ?

— Attendre ! répondit laconiquement ce dernier.

— Attendre… quoi ?

— La mort… peut-être !

Et la voix profonde d’Alpaca résonna si lugubrement que Tonnerre frissonna jusqu’à la moelle de ses os et garda le silence.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La nuit s’écoula, lente, froide, triste, créant en l’esprit des deux anciens pitres des pensées qui n’avaient aucune teinte de gaieté.

Mais lorsque la vitre du soupirail commença à se blanchir aux premières clartés de l’aube, un rayon d’espoir parut éclairer la sombre physionomie des deux prisonniers.

Alors Tonnerre gouailla :

— Nous avons bien dormi !… Reste à savoir maintenant si nous déjeunerons aussi bien !

— Je parie, dit Alpaca que vous donneriez gros pour savourer une petite crêpe au lard bien chaude et bien fumante.

— C’est-à-dire que je donnerais volontiers nos gardiens au diable, si tant est que le diable en veuille !

— Silence, Maître Tonnerre ! commanda tout à coup Alpaca. J’entends au dehors un bruit singulier…

Les deux amis prêtèrent l’oreille.

— Bon ! fit Tonnerre, je m’y connais : c’est une auto qui nous arrive. Je ne m’étonnerais pas qu’on vienne nous chercher.

— Et comme nous passons pour des espions, Maître Tonnerre, vous voyez d’ici le sort qui nous est réservé !

— J’en frissonne jusqu’au fond de mon pantalon. cher Maître !

À l’instant même où Tonnerre achevait ces paroles, la porte de la cave fut brusquement ouverte, et une voix cria d’en haut :

— Hé ! vous autres, dans la cave, dormez-vous ?… Montez, on vous attend !

— Nous montons, mon ami, nous montons, répliqua vivement Tonnerre.

L’instant d’après nos deux compères, l’œil lourd, la paupière battue, la figure tirée, les vêtements fripés, pénétraient dans le vestibule de la maison et se trouvaient en présence du colonel Conrad.


IX

COMMENT ALPACA ET TONNERRE REPRIRENT LEUR LIBERTÉ


Le premier geste d’Alpaca et Tonnerre, à la vue du colonel, fut de se courber en une profonde révérence et avec une gravité d’arabe. Puis ils concentrèrent chacun un regard très digne sur la personne du colonel.

Ils crurent observer que l’officier n’avait rien de bien plaisant ni de bien accueillant dans sa physionomie excessivement dure et menaçante, et dans ses yeux jaunâtres ils purent voir étinceler de sanglantes lueurs.

Tout cela était du plus mauvais présage… et les deux amis se sentirent la petite chair de lapin !

Et le colonel leur prouva de suite la justesse de leur observation par ces paroles brutales :

— Vous autres, passez-moi de vos singeries et apprêtez-vous à répondre à mes questions. Mais je vous préviens de suite que si vous vous avisez de déguiser la vérité, vous apprendrez qui je suis.

— Monsieur, fit Alpaca de sa voix sévère, si vous appelez singerie un acte de politesse élémentaire…

— Pas de commentaires, toi, espèce de gourde ! interrompit durement le colonel.

— Peut-être que moi… voulut intervenir Tonnerre.

— Et quant à toi, rugit le colonel, tiens, vois-tu ces arbres dehors ? Et par la porte ouverte il indiquait le bouquet d’arbres du parterre.