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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

d’empêcher quiconque de sortir ou d’entrer.

Cependant la musique allait toujours et les valseurs devenaient plus nombreux.

Dix minutes s’écoulèrent, puis une douzaine de policiers firent irruption dans la salle.

Il y eut une grande sensation…

L’orchestre se tut.

Les danseurs demeurèrent immobiles, et un silence relatif s’établit de toutes parts. Les policiers parcouraient les groupes, scrutant les visages, dévisageant chaque individu.

James Conrad et le colonel, demeurés près de la grande porte soigneusement gardée par quatre constables, suivaient les policiers de l’œil et attendaient nerveux et impatients.

Les agents de police allaient toujours, sans résultat encore.

Ils firent ainsi le tour de la salle, puis ils visitèrent la galerie, mais sans trouver la personne qu’ils cherchaient.

Et, lorsque, enfin, ils vinrent rendre compte de leur mission au colonel, celui-ci ne put réprimer un geste de rage et dit avec un juron :

— Vous êtes venus trop tard… Lebon est parti !


VII

RUE DORCHESTER


Comme il l’avait dit, onze heures venues, Benjamin prit congé des Conrad. Le colonel était déjà parti.

Benjamin monta dans un tramway en direction de l’est, descendit à l’angle de la rue Peel, gagna à pied la rue Dorchester. Une fois là, il vit venir de son côté un homme porteur d’une valise, et cette valise éveilla de suite la curiosité de Benjamin.

— Oh ! oh ! voilà une valise qui me rappelle certains souvenirs ! Est-ce qu’elle ne serait pas par hasard celle qui contient ce que je cherche ? Ah ! si cela était…

L’individu porteur de la valise marchait lentement et avec précautions. Benjamin ne pouvait voir ses traits, il en était trop loin, mais l’homme avait l’air d’un gaillard de haute taille.

— Je pense, se dit le jeune homme, qu’il importe de jouer serrer et de ne rien laisser au hasard ; si je ne me trompe pas, cet homme va précisément là où j’ai été prié de me rendre moi-même. Allons ! pourvu que je trouve mes braves au poste !

Et rapidement il se mit à poursuivre son chemin, car il avait résolu de distancer l’inconnu. Après cinq minutes de marche, Il tourna la tête et ne vit plus que la vague silhouette de l’homme à la valise. Il allait traverser la rue dans un endroit fort peu éclairé, lorsque deux silhouettes humaines lui barrèrent la route.

— Ah ! ah ! c’est vous ? fit Benjamin en s’arrêtant net.

— Et tout à votre service, mademoi…

— Chut ! interrompit Benjamin en posant un doigt sur ses lèvres.

Et d’une voix rapide et basse il ajouta :

— Vous voyez l’homme qui vient là-bas ?

— Nous le voyons, dirent Tonnerre et Alpaca d’une même voix.

— Eh bien ! arrangez-vous pour le débarrasser de la valise dont il est porteur. J’ai comme idée que cette valise est d’une extrême importance pour nous.

— Compris, capitaine ! dit Tonnerre.

— Vous serez satisfait de notre besogne, conclut Alpaca en faisant une révérence.

— Je compte sur vous.

Et Benjamin poursuivit sa route.

L’instant d’après il s’engageait dans un parterre abandonné et, gagnait la maison inhabitée que nous connaissons et que Kuppmein avait appelée « nos quartiers généraux ».

De leur côte Alpaca et Tonnerre avaient continué leur chemin et s’étaient bientôt trouvés nez à nez avec le porteur de la valise et qui n’était autre que ce brave Grossmann.

— Bonsoir, cher monsieur ! prononça Alpaca sur un ton demi railleur.

— Tiens ! s’écria Tonnerre avec un ravissement affecté, une ancienne connaissance précisément ! Comment allez-vous cher ami ?

Et Tonnerre tendait sa main large ouverte à Grossmann qui s’était arrêté tout ahuri et tâchait dans la vague clarté de la rue, de reconnaître ceux à qui il avait affaire.

Puis, ne découvrant que deux inconnus, il grommela :

— Au diable les amis ! Je ne vous connais pas ! C’est, une erreur que vous faites, passez votre chemin !

— Une erreur ! cria Tonnerre en haussant les épaules. Ah bah ! vous nous avez vus de travers !

— C’est certain, appuya Alpaca. Car nous, nous avons conservé votre souvenir dans nos cœurs comme dans nos mémoires, n’est-ce pas, Maître Tonnerre ?

— La pure vérité, cher Maître Alpaca ! Voilà donc ce que c’est que l’amitié, et dites-moi de compter sur elle dorénavant !

— Ingratitude ! proféra Alpaca d’une voix sombre.

— Hélas ! soupira Tonnerre en secouant la tête. Et dire et penser que nous lui avons sauvé la vie !…

— Je vous répète que vous me prenez pour un autre ! grogna Grossmann qui ne savait plus quelle attitude prendre.

— Est-il un peu têtu ? fit Tonnerre avec impatience. Il veut ignorer de nous connaître ! Que pensez-vous de cela, Maître Alpaca ?

— Je pense que c’est peut-être dû à un excès de fatigue qui lui dérange la mémoire, car cette valise qu’il porte à sa main droite me paraît très lourde.

— C’est juste ! admit Tonnerre. Mon cher ami, ajouta-t-il en regardant Grossmann sous le nez, si je vous aidais à porter un peu cette belle valise ?

Et ce disant il avançait la main vers la poignée de la valise.

Croyant avoir affaire à des maraudeurs, Grossmann fit un bond énorme en arrière.

Mais d’un bond en avant Alpaca était sur lui et disait de sa voix grave :

— Ne redoutez rien de nous, c’est un simple service que nous désirons vous rendre.