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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

entre ses lèvres. Puis il haussa les épaules avec dédain, pirouetta sur ses talons et quitta l’Aréna.

Or, le couple qu’avait regardé Parsons nous est connu : oui, c’était, William Benjamin et Ethel Conrad.

Après vingt minutes de valse le pseudo-banquier et la jeune anglaise revinrent à leur baignoir. Au même instant un employé apportait à Benjamin une lettre.

— Pour moi ? demanda le jeune homme avec surprise.

— N’êtes-vous pas Monsieur William Benjamin ? interrogea l’employé.

Alors Benjamin regarda la suscription et reconnut son nom.

— C’est juste, dit-il à l’employé, cette lettre porte mon nom. Merci.

Il brisa aussitôt l’enveloppe et en tira la note suivante :

Si Monsieur William Benjamin désire toujours acquérir le modèle de certain Chasse-Torpille qui l’intéresse, il est prié de se trouver à onze heures et demie rue Dorchester, No 1144. Il sera attendu.

Aucune signature n’apparaissait au bas de cette note.

Un sourire vague plissa les lèvres du jeune homme, et il glissa la lettre dans sa poche.

Ethel, qui l’avait observé, lui demanda avec un sourire ingénu :

— Je vois, grâce à Dieu, que ce n’est pas une mauvaise nouvelle ?

— Au contraire, sourit Benjamin, la nouvelle qui m’arrive est mauvaise !

— Mon dieu ! vous m’effrayez !

— Ne vous effrayez pas outre mesure, mademoiselle. J’ai dit mauvaise nouvelle, en ce sens que j’aurai l’immense regret de vous fausser compagnie dès que sonneront onze heures, on m’assigne un rendez-vous de la plus haute importance pour mes affaires. J’ose espérer que vous ne m’en tiendrez pas compte.

— Pas du tout. Je ne voudrais d’ailleurs en aucune façon qu’une bonne affaire pour vous fût manquée à cause de moi et par ma faute.

— Merci. Mais, je vous prie de le croire, je reviendrai vous rejoindre ici. Je ne serai peut-être qu’une heure absent.

Un fort accès de toux secoua la poitrine du jeune homme. Il s’excusa aussitôt, disant :

— Vilaine toux… vilaine toux…

— Vous ne la soignez donc pas ? fit avec inquiétude la jeune fille.

— Si, si, mademoiselle, mais j’ai si peu de temps que je la soigne fort mal. Mais ce n’est rien… un courant d’air que j’ai dû prendre ici… Ça va passer…

— Bon ! voilà mon cousin, le colonel, interrompit Ethel, je gage qu’il nous cherche.

Elle agita son mouchoir dans la direction de l’entrée principale de l’Aréna.

C’était bien ce brave et précieux colonel, bien guindé et toujours le stick à la main. Car le colonel paraissait tenir à son stick comme un fou à sa marotte, attendu que l’un n’est pas complet sans l’autre.

Le colonel vit le signal d’Ethel. Il grimaça un sourire et se dirigea de suite vers la baignoire.

De nouveaux quadrilles venaient de se former.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dix heures étaient sonnées.

Benjamin et Ethel Conrad venaient de se joindre à un groupe de valseurs. Les deux jeunes gens attiraient l’admiration générale.

Le colonel, très mauvais danseur, se contentait de faire du bel esprit à Conrad et à sa femme qui de son face-à-main, suivait avec orgueil les évolutions savantes et gracieuses de sa fille au bras du beau Benjamin.

Tout à coup l’ingénieur fit un geste d’étonnement et s’écria :

— Ah ! ça, Philip, ai-je la berlue ? C’est bien Lebon que je vois là enlacé avec cette rousse !… Et ses yeux clignotaient furieusement derrière le lorgnon que d’une main tremblante il tentait d’assujettir sur son nez.

Le colonel regarda attentivement le couple indiqué par son oncle. Il tressaillit violemment… Oui, il reconnaissait parfaitement Pierre Lebon. Mme  Conrad elle-même assurait que cet élégant jeune homme était bien l’inventeur du Chasse-Torpille. Mais n’était-ce pas inimaginable ?

Et le colonel, ensuite, se mit à examiner la compagne du jeune homme. Certes, elle lui était inconnue. Pourtant… est-ce qu’en son souvenir il ne revoyait pas quelque image semblable ou à peu près ? Est-ce que cette tête aux reflets de flammes rouges ne lui était pas un peu connue ? Et la peau un peu laiteuse de ce visage ? Et ces lèvres d’un fort beau rouge ? Et ces yeux étincelants, plus noirs que de l’ébène ? Oui, n’avait-il pas, en creusant ses souvenirs, aperçu cette belle image quelque part comme dans l’encadrement d’une porte ?… Et d’une porte… oui, d’une porte qui faisait face à son logis sur la rue Metcalf ?

Alors un nom vibra aux oreilles du colonel, un nom qui faillit le faire tomber à bas de son siège, un nom qui le frappa au cœur, mais pas mortellement, par bonne chance, et ce nom c’était…

Miss Jane !…

— Oui, Miss Jane !… murmura-t-il avec un sourire en lequel on aurait pu découvrir quelque chose de perfide, et de très perfide quand il se dit à lui-même avec une sorte de rugissement joyeux :

— Oui, Miss Jane… Miss Jane avec Lebon !… Allons ! le diable est pour moi !

— Eh bien ! demanda Conrad avec impatience sans quitter des yeux l’inventeur et sa partenaire, ne reconnais-tu pas notre Lebon ?

— Oui, répondit le colonel, c’est lui. Quelle audace !

— Mais cela pourrait bien être une simple ressemblance ! émit Mme  Conrad.

— Edna, répondit Conrad sur un ton convaincu, je te dis que c’est Lebon, c’est-à-dire notre voleur !

— Attendons qu’il se rapproche de nous, pro-